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Rentrée littéraire : Patrice Jean nous livre un roman audacieux
Publié le 04/10/2024 , par Lisez
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Déjà lauréat du prix Maison Rouge 2024, La vie des spectres, le nouveau roman de Patrice Jean est aussi grinçant et impitoyable, qu'il est audacieux et inattendu. Un livre qui se joue des idéologies et des clichés pour mêler une critique acérée de notre époque à un onirisme plus nostalgique.
Comment décrire Jean Dulac autrement : désenchanté, à bout, narquois, mélancolique, seul contre tous. L’enfer c’est les autres, cette société nouvelle qu’on veut à tout prix lui imposer. Hélas, le narrateur de cet irrésistible roman, est perdu dans ce monde bien-pensant, plein de bons sentiments, attristé aussi par ses contemporains, lui qui semble parfois venu d’un autre siècle.
Journaliste culture dans un journal nantais, il rencontre des personnalités à la mode et fait même leur portrait. Mais il sait d’avance à peu près tout ce qu’ils vont lui dire. Aussi persiste-t-il à tourner en ridicule ces philosophes, sociologues, écrivains de pacotille, metteurs en scène prétentieux. Son rédacteur en chef n’est pas du même avis et le supplie de mettre de l’eau dans son vin. Mais, semble nous dire l’auteur, comment supporter ce charabia, ces tics de langage, ces phrases toutes faites rabâchées cent fois ?
Tout cela serait anecdotique si un événement ne venait pas frapper notre héros de plein fouet : son fils Simon, adolescent représentatif de sa génération, sûr d’en savoir plus que son père, féru de jeux vidéo et beaucoup moins de littérature, se trouve mêler à une sale histoire de « revenge porn ». Le gamin ne semble pas plus perturbé que cela tandis que Jean Dulac est accablé. Mais n’est-il pas qu’un « facho », entendez un « boomer », un mâle blanc qui ne comprend rien, comme son rejeton et sa femme ne cessent de lui répéter ?
Patrice Jean n’y va pas de main morte pour fustiger le wokisme ambiant et doit déjà savoir qu’il ne se fera pas d’amis avec cette Vie des spectres. Que lui importe, il a son opinion, et elle est grinçante, sur le féminisme – les conversations de son épouse avec ses amies valent leur pesant d’or ! -, sur la vie de famille et le rôle des parents « déconstruit » comme on dit aujourd’hui, sur la violence, l’esprit de vengeance de ceux qui prêchent la fraternité. Le monde qu’il a connu a disparu et celui dans lequel il erre lui est étranger. Dans ces pages drôlissimes mais surtout mélancoliques, le héros traîne sa tristesse, sa solitude, préfère discuter avec le fantôme de son meilleur ami, lui au moins a conservé son sarcasme, sa lucidité, plutôt qu’à ces vivants qui ne parlent pas sa langue.
Les pages sur le désir vain, sur la vieillesse, cette impression d’être resté un jeune homme et découvrir dans le regard des autres qu’il n’en est rien, sur l’éducation, avec cette jeune professeur sacrifiée sur l’autel de la bienséance tant son enseignement importune ses élèves, comment ose-t-elle en effet proposer l’étude du Misanthrope ?, sont pour le moins perturbantes. Tout comme l’arrivée de cette épidémie mondiale, un mal mystérieux, auquel un remède, ô combien surprenant, ô combien inédit, redonne un peu d’espoir à celui qui n’en a plus guère.
Truffé de références littéraires, servi par une plume hors du commun, de dialogues brillants et, c’est suffisamment rare pour le relever, qui sonnent toujours juste, La Vie des spectres ne ressemble en rien à ce qu’on a déjà lu. Et si Patrice Jean était le plus rebelle de nos écrivains ?
Lisez ! · Minute Lecture - La vie des spectres