Au Bonheur des Dames : Le livre de Zola

“Tout sous un même toit”, promotions, soldes, produits d’appel, ventes à perte, livraisons à domicile, publicités par catalogue, réclames, “rendus”, cleptomanie… Tout était déjà en place dans le temple de la consommation “Au bonheur des dames” d’Octave Mouret dont la “création apportait une religion nouvelle, les églises que désertait peu à peu la foi chancelante étaient remplacées par son bazar, dans les âmes inoccupées. La femme venait passer chez lui les heures vides, les heures frissonnantes et inquiètes qu’elle vivait jadis au fond des chapelles…” Mais vous ne ferez pas que circuler dans ses rayons… Le roman est aussi une exploration de la condition sociale des salariés du commerce face aux effets dévastateurs du capitalisme, et de la montée en puissance des grands magasins qui écrasent le petit commerce et les salariés inefficaces. Emile Zola mêle aussi l’histoire d’amour de Denise qui, au départ, “maigrichonne, timide, taillée, presque ahurie, écrasée…”, ne payait pas de mine. Elle ”n’avait pu que rafraîchir sa vieille robe de laine noire, en la garnissant de biais de popeline à petits carreaux ; et elle s’était fait elle-même un chapeau, avec une sorte de capote recouverte de soie et ornée d’un ruban bleu. Dans cette simplicité, elle avait l’air très jeune, un air de fille grandie trop vite, d’une propreté de pauvre…” Ce onzième opus des Rougon-Macquart est aussi celui du naturalisme virtuose : l’auteur sait nous montrer l’opulence, la magnificence de l’étalage des vêtements, il sait aussi décrire la misère sombre qui s’abat sur les petites boutiques qui périclitent. Quand il décrit les grands magasins, il le fait avec foisonnement comme dans les halles pour les victuailles dans “Le ventre de Paris” . Quelle richesse dans les décors et les descriptions des étals, le style coloré, exubérant devient alors orgasmique… Le roman est visionnaire à plusieurs titres, dont celui de l’ascension sociale d’une femme qui cherche à se définir indépendamment des hommes.

Onzième tome des Rougon-Macquart, on y retrouve Octave Mouret, précédent héro de Pot Bouille, qui a la chance d'avoir un double roman pour lui seul. Ses ambitions ont payé et il est maintenant à la tête d'un très grand magasin, précurseur des Galeries Lafayettes, Printemps, Bon marché et autres joyeusetés. J'ai trouvé qu'il était moins jugeant que sur les précédents romans. Il s'attache à décrire chaque point de vu tel quel. On y voit très bien les bénéfices des grands magasins, flambants neufs, brillants de mille feux attirant la clientèle, le nombre d'emploi créés, les progrès en terme de condition de travail des employés au fur et à mesure que le magasin s'étend. Mais on en voit aussi très bien les effets pervers, la ruine des petits commerces aux petites boutiques sombre, humides et renfermées qui luttent jusqu'au bout pour exister. La jalousie et la concurrence entre les employés. Les conséquences sur les clientes également qui deviennent à moitié folles face à l'abondance du choix, dévoilant le pire du consumérisme et jusqu'à la kleptomanie lorsqu'elles n'en ont plus les moyens… [masquer] A cheval entre ces deux mondes, la success-story de Denise. Issue d'un milieu populaire, elle même nièce d'un boutiquier concurrent et bientôt ruiné par "Le bonheur des dames", elle va se faire embaucher dans le grand magasin qui l'attire malgré elle. Après des début difficiles, elle grimpera tous les échelons jusqu'au sommet. Elle incarne le rêve capitaliste dans ce qu'il représente en terme d'avenir, de progrès tout en étant profondément attachée à ses origines. Elle restera en suspens entre les deux mondes jusqu'à la fin, jusqu'à ce qu'elle fasse un choix. Son histoire d'amour, digne des romans anglais victoriens, tout en non-dit et quiproquos est-il si romantique? Est-ce un happy end? Elle et Octave se reconnaissent et se choisissent à la fin du roman mais à quel prix? Leur succès provoque la ruine de sa famille et de tous ceux qui l'ont accueillie et soutenue lorsqu'elle avait tout perdu jusqu'à la mort de sa cousine... [/masquer] C'est donc un roman très juste, très documenté et comme toujours chez Zola, d'actualité. Il interroge notre rapport à la consommation et notre rapport au travail qui sont des questionnements majeurs dans les enjeux politiques, économiques et environnementaux aujourd'hui.

Peut-être devrais-je relire ce roman, mais je n'en ai pas la force. Je l'ai découvert à 15 ans et j'en ai un souvenir affreux. Des longueurs, des longueurs et des longueurs. Un tel ennui. Et pourtant je lisais des classiques à cette époque et j'appréciais énormément (Pauline et Bel Ami dans mon cœur à tout jamais). Disons que si vous aimez les belles plumes descriptives et la morosité littéraire, c'est fait pour vous.

Suite des Rougon Macquart avec ce 11e tome, publié en 1886. L'histoire se déroule à Paris, au coeur de la révolution du commerce de détail avec l'ouverture du grand magasin Au Bonheur des Dames, un immense temple de la consommation. À travers cette entreprise, Zola dresse le portrait de la naissance du capitalisme moderne, avec ses mécanismes, ses lois impitoyables et ses effets sur la société. Le magasin est un véritable microcosme de la société : il est à la fois un lieu de pouvoir économique, un centre de désir et d'aspiration sociale, et un espace où les classes se rencontrent dans une dynamique nouvelle. le grand magasin incarne la mutation du commerce traditionnel, et devient un objet d'étude fascinant pour Zola, qui met en lumière l'influence de la publicité, du marketing et du consumérisme sur la population parisienne. Le Bonheur des Dames se révèle être une métaphore du capitalisme florissant, où l'ascension de la maison de commerce reflète la montée en puissance des grandes industries au détriment des petites boutiques. Zola décrit, avec son réalisme acéré, les procédés commerciaux, la gestion des stocks, l'optimisation des espaces de vente, les stratégies de prix, mais aussi les nouvelles attentes et besoins créés par la consommation de masse. Ce n'est pas simplement un magasin, c'est le coeur battant d'une société en pleine mutation, un monstre féroce qui veut "exploiter les appétits des autres, pour le contentement tranquille et complet de ses propres appétits", ou encore une machine bien huilée dans laquelle "le rouage inutile était tranquillement jeté de côté" (le rouage ici étant un employé!). Le personnage principal, Denise Baudu, est une jeune provinciale de 20 ans venue à Paris pour chercher du travail. Elle incarne l'innocence et la pureté, mais aussi la détermination. Denise se distingue par sa morale et son courage, affrontant les défis du grand magasin et du monde du travail avec une dignité qui contraste avec l'ambition dévorante de certains autres personnages. Elle est un appui stable et constant pour ses deux frères. Son évolution tout au long du roman est fascinante : de la jeune femme timide et fragile, elle devient une figure centrale, respectée et admirée au sein de l'univers du magasin. Denise est opposée à Octave Mouret, le patron de Au Bonheur des Dames, personnage complexe et ambigu (oui oui c'est le jeune homme ambitieux de Pot-Bouille). D'un côté, il est l'incarnation du modernisme et de l'ambition sans scrupules ; de l'autre, il est un homme seul, tiraillé entre son désir de conquérir et d'amasser, et son attirance pour Denise. À travers Denise, Zola questionne la condition féminine. Si elle incarne la douceur et la simplicité de la femme idéale, elle se bat aussi pour son indépendance et son statut dans un monde dominé par les hommes et l'argent. le magasin, tout en offrant un lieu de travail pour les femmes, devient un champ de bataille où elles doivent se battre pour leur dignité et leur place. L'image de la femme moderne, désireuse de s'affranchir, de travailler, et de consommer, est un thème central de l'oeuvre. Moins noir que le précédent, Au bonheur des dames est un roman fascinant que j'ai aimé relire quelques 30 ans après ma première lecture ;)