Tout est chaos : Le livre de Carmen Bramly

La fille de l’agence de pub Un quart de siècle après « 99 francs », Carmen Bramly retourne dans une agence de publicité pour en décortiquer les mœurs. Dans les pas d'une jeune conceptrice-rédactrice, elle explore les nouveaux codes de la société, le rapport à l'autre, la sexualité. Un roman de formation à l'ère post #MeToo. Les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître 99 Francs. Paru en 2000, ce roman autobiographique de Frédéric Beigbeder retraçait les dérapages du monde de la publicité et a notamment valu à son auteur d'être renvoyé de son agence, Young Rubicam en l'occurrence. Si j'en parle à l'occasion de cette chronique, c'est parce que Carmen Bramly, en racontant le même univers aujourd'hui, nous offre en quelque sorte un regard actualisé sur ce monde, avec ses invariants mais surtout ses bouleversements. Il met en scène Paloma Madar, 24 ans, conceptrice-rédactrice au sein du département luxe de l'agence A.T.K. C'est par un épisode de sa vie privée que s'ouvre le roman, son rendez-vous avec Jérémy, un artisan ébéniste déniché via une application de rencontres. Elle entend lui démontrer qu'elle est une fille bien en lui exposant sa théorie du karma et tout ce qu'elle fait pour compenser son boulot qu'elle juge moralement discutable. Si Jérémy reste très critique, il n'en est pas moins séduit par l'humour et la faconde de Paloma. Il ne se doute pas qu'il n'est alors qu'un nom de plus à ajouter dans le cahier des conquêtes de la jeune fille qui ne veut pas se lier, qui n'entend pas confondre sexe et amour. Il faut dire qu'elle a d'autres chats à fouetter, à commencer par faire son trou au sein de l'agence. Pour cela, elle peut compter sur un allié de poids, Benjamin Esposito, son directeur de création qui est aussi son mentor. Il a pris la jeune conceptrice-rédactrice sous son aile et lui a appris le métier. Si l'ancienne étudiante en philosophie se dit quelquefois qu'elle n'a rien à faire là, qu'elle a poussé la mauvaise porte, elle continue vaillamment à « produire du désir en série dans un environnement qui cherche à "neutraliser l'humanité" (...), où chaque consommateur est traité comme "un centre du monde" auquel on vend "une certaine idée de lui-même" ». Margot Wilson, leur patronne, a demandé à Benjamin et Paloma de repositionner une marque de mode. L'occasion pour Paloma de suivre Benjamin sur un terrain plutôt inattendu : « Selon une étude, quatre jeunes sur dix n’ont pas fait l'amour au cours de l’année 2021 et beaucoup affirmaient avoir perdu le goût de la masturbation. C'est un phénomène que j’ai moi-même pu observer sur les applications de rencontre. Des garçons m'ont déjà dit qu'ils ne se sentaient pas « sexuels » ou bien qu’ils étaient trop « fatigués » pour me voir. C’est comme si la solidarité dans le plaisir s'était étiolée. Aujourd’hui, la jeunesse n’a plus envie de l’autre, cette énigme terrifiante. Sa libido a été lessivée par un déferlement continu d'informations contradictoires et anxiogènes. On présente la sexualité comme un rapport de force où la femme serait a priori la victime de l’homme. Le désir des uns est criminalisé quand celui des autres est étouffé, Pour moi, c’est différent. Je ne suis pas tout à fait jeune et je n'ai jamais confirmé les statistiques de ma génération. C’est aussi pour cela que Benjamin a souhaité faire équipe avec moi. Je suis l’outsider des insiders, s’il fallait le formuler en des termes publicitaires. Avec la complicité de cette marque, si elle l’accepte, Benjamin s’est donné pour mission de rendre à la jeunesse l’envie d’avoir envie. » Une fois le concept lancé, il va demander à une stagiaire de rechercher des photos pour illustrer ce propos, exemples à l'appui. Une tâche assez classique, mais la jeune fille va se considérer harcelée sexuellement et va se plaindre auprès de Margot. C'est le début d'un engrenage infernal dans lequel l'accusation vaut déjà condamnation. Carmen Bramly, à travers ce portrait de cette jeune publicitaire, questionne les compromis moraux du métier, l'authenticité des relations humaines et la quête d'identité dans un milieu où la quantité a remplacé la qualité, ou la vitesse a remplacé le sens. « Aujourd’hui la publicité nous traque, nous écoute, s’infiltre partout, elle parasite les vidéos que nous regardons sur YouTube et mine nos réseaux sociaux, les articles que nous lisons en ligne, nos pornos... Moi, par exemple, mon téléphone me déteste. Sinon, pourquoi me proposerait-il toute la journée des opérations de chirurgie esthétique, des vêtements amincissants, des régimes à gogo et des podcasts pour faire remonter la libido ? » S'il a tout du roman de formation, ce roman est aussi un formidable miroir de notre société et en particulier de sa jeunesse, angoissée et désorientée. S'il débouche sur des perspectives plutôt sombres – génération désenchantée –, il a le grand mérite de nous ouvrir les yeux, de nous inciter à réagir. Salutaire ! NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu’ici ! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre et en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.

C'est la première fois que je lisais un roman de cette autrice et j'ai immédiatement accroché avec la plume à la fois ironique et poétique. Tout est recherché, pas d'expressions toutes faites, et en cela, bravo. La description du monde de la publicité est très vivante, on visualise bien, et moi qui travaille dans la communication (mais côté annonceur) je trouve que c'est assez réaliste. Si j'ai beaucoup apprécié la première moitié du livre, j'ai été un peu déçue par la suite. En effet, je m'attendais à ce qu'il y ait un mystère autour de la culpabilité de Benjamin, l'a-t-il vraiment fait ou pas ? Mais aucun mystère : on sait très vite ce qu'il en est, et ce n'est jamais vraiment remis en question. Au bout d'un certain temps, ce sujet se retrouve relégué au second plan, et on se concentre uniquement sur Paloma, un personnage certes intéressant et complexe, mais j'ai l'impression que le livre passe finalement à côté de ce que j'attendais de lui. Après, c'est peut-être davantage de la faute de mes attentes que du livre en lui-même. Cela reste une lecture agréable et facile à lire, je l'ai lu en une après-midi. Je pense qu'il faut surtout y aller avec des attentes différentes des miennes.

A.T.K., ton univers impitoyable ! A.T.K., c'est le nom de la boîte de pub dans laquelle travaille depuis peu Paloma, 24 ans. C'est Benjamin, un quadragénaire qui ne rentre pas tout à fait dans le moule, qui lui apprend le métier tout en la préservant des dérives du milieu. Un e-mail maladroit, une stagiaire dont la mère est avocate spécialisée dans le droit des femmes et le monde de Benjamin s'écroule obligeant par ricochet Paloma à se remettre en question. Fille de restaurateurs, Paloma a soif de reconnaissance et s'arrache au travail tout étant éprise de liberté. Elle qui se veut être un électron libre, l'est-elle vraiment ? Va-t-elle faire innocenter Benjamin ou va-t-elle sagement rentrer dans les rangs pour ne pas faire de vagues ? Dans un style incisif et parfois cash, l'auteure nous fait vivre une descente aux enfers tout à fait dans l'air du temps, dans un monde où le paraître est roi et où la suspicion est reine. Un roman qui m'a tenue en haleine jusqu'à la fin ! Tout est chaos fait partie de la rentrée littéraire d'hiver et est depuis le 9 janvier en librairie.

LE DIABLE FAIT SA COMM' EN ATEKA. Très certainement… Paloma Madar, une jeune conceptrice-rédactrice de 24 ans, travaille dans le département « luxe » d'une prestigieuse agence de publicité parisienne appelée A.T.K. Paloma a beaucoup de talent, elle est douée, vive et créative. Elle a la suprême chance d'être la collaboratrice d'un directeur de création appelé Benjamin ; un « vieux de la vielle » dont la carrière est à son image, singulière fougueuse, libre et performante. Mais les électrons libres ont la fâcheuse habitude de perturber salement leur monde alentour : ils sont là puis ne sont plus là, surgissent sans crier gare et la surprise est leur tenue de soirée. L'absence de règles inquiète et déstabilise. Ce qui ne plait ni à la direction - Margot Wilson en présidente du département luxe et Clothilde de Ménil en directrice de création en chef - ni aux services concurrents peuplés de louves et de loups fébriles et ambitieux. Tandis que Mademoiselle Lorem Ipsum conçoit et rédige intensément le jour et tente de chasser ses démons la nuit, un coup de théâtre fatal survient : Benjamin est accusé de harcèlement sexuel et doit quitter sans délai l'agence… Exil, destitution et renvoi. Le rideau tombe et l'enfer se dévoile. Pour Paloma, c'est tout son escalier qui s'escamote ; les marches bascules et disparaissent. Plus rien ne semble pouvoir entraver sa chute… sauf si elle rentre sagement dans le cadre proposé par l'équipe de direction. Saura-t-elle accepter ces entraves et renoncer à ses rêves et à sa liberté ? Il s'agit d'une comédie dramatique enjouée et torturée dans un monde de paillettes et de Champagne qui serait dopé au Xanax et au Lexomil. Un monde où les plus jolis minois cachent des griffes et des crocs rouges de sang. La lecture est plaisante et le roman pourrait même servir de scénario à un film servi par de bons acteurs… Peut-être manque-t-il un petit quelque chose – un zeste de citron, une pincée d'épices, de la crème fouettée - pour accéder à une quatrième étoile… car si le deuxième tiers est moins fluide, l'intro et la fin sont très réussis. Je remercie Babelio ainsi que les éditions des Presses de la Cité pour m'avoir soumis cette lecture en échange d'une critique.