Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon : Le livre de Jean-Paul Dubois, Jacques Gamblin

Goncourt 2019 qui n'était pas encore lu. Pourquoi? Mais pourquoi n'ai-je lu cette merveille avant? Triste, drôle, poétique, mélancolique, tendre et violent, ce bijou est une analyse tellement fine des aléas de la vie. L'humanité se confronte à l'orgueil et la mesquinerie au fil des pages, la bienveillance à l'égoïsme. Rires et larmes garantis. Mais ce n'est que mon avis ;-)

Un père danois pasteur qui joue et perd aux courses puis au casino, un codétenu brutal et phobique, les personnages qui partagent la vie de Paul Hansen, le narrateur, sont fantasques, excentriques, outrés. Rien d'étonnant quand on connaît la littérature de Jean-Paul Dubois. Les figures féminines sont ici plus effacées, plus libres aussi. Winona, la femme de Paul, apparaît tardivement dans le récit. Ses origines à demi amérindiennes la rapprochent de la nature sauvage. Elle appartient à un monde pur, étranger à la cruauté du système social, qui est aussi celui de Nouk, la chienne. Paul semble assez posé. Mais quel acte a-t-il commis pour se retrouver au pénitencier de Montréal ? Jean-Paul Dubois entretient le mystère et le suspense. On ne l'apprendra visiblement qu'à la fin du roman. Les faits sont datés de 2009 – 2010. L'auteur aborde deux questions centrales dans l'histoire de Paul : l'univers carcéral, et la religion, la foi, et la place de l'église dans la société. L'Excelsior où Paul occupe un poste de gardien-factotum concentre les mesquineries et les bassesses qui sont au coeur de toute organisation de société humaine. C'est là que se joue le drame. Comme toujours, l'humour cynique est de mise. Jean-Paul Dubois a souvent recours au comique de répétition. Il a le sens du grotesque et de l'absurde. La musique apporte de l'oxygène au récit. Elle émane d'un orgue Hammond au registre surprenant pour l'église méthodiste où officie le pasteur. Elle contribue, elle aussi, à l'humour quelque peu déjanté de Jean-Paul Dubois. Le roman est bien composé et rythmé par une alternance entre l'histoire de Paul, son passé, et sa condition présente au pénitencier. Une évolution vers un paroxysme se dessine au fil des pages. Comme toutes les oeuvres de l'auteur, Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon véhicule une vision très sombre de l'humain. Elle se résume dès les premières pages dans un aphorisme anthropologique emprunté à un spécialiste des cultures amérindiennes: "L'homme est un ours qui a mal tourné".

Un révérend qui perd la foi, un biker philosophe, un gardien d’immeuble emprisonné… Oui, tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. Mais dans cette histoire fascinante, racontée depuis sa cellule par Paul Hansen, leurs destins se croisent et s’entrelacent. Ce livre a été ma première tentative de livre audio… et une belle surprise, sublimée par la voix de Jacques Gamblin. J’appréhendais un peu : je lis si vite que j’ai rarement la patience d’écouter. Mais en cuisinant, portée par cette narration immersive, j’ai traversé ces sept heures d’écoute sans voir le temps passer. Ce qui m’a surtout captivée, c’est ce récit magistral, ces personnages hauts en couleur, cette capacité de l’auteur à nous faire ressentir une sympathie immédiate pour certains et une franche antipathie pour d’autres. L’histoire se dévoile progressivement, tissant peu à peu une trame riche et subtile, jusqu’à composer un tableau saisissant. Pour être honnête, j’ai même regretté de ne pas l’avoir lu plutôt qu’écouté, pour pouvoir m’y plonger encore plus profondément. J’ai toujours l’impression que les livres audio me forcent une interprétation, un peu comme une adaptation cinématographique. Mais voilà, il faut parfois sortir de ses habitudes… et j’ai connu bien pire comme expérience ! À recommander en livre audio à ceux qui, comme moi, manquent de temps, et en version papier à ceux qui aiment croiser des personnages marquants et les accompagner sur plusieurs années !

Pourquoi Paul Hansen, un concierge en apparence sans histoires, a-t-il été incarcéré à la prison de Montréal ? Il vivait jusqu’alors au rythme d’une routine prenante, entre maintenances en tous genres et sollicitations quotidiennes des résidents. Son dévouement sans faille assurait la stabilité de cette vie en communauté. Le motif de son incarcération ne sera dévoilé qu’à la toute fin du livre. Avant cette révélation, l’enfermement forcé est une occasion pour Paul de dérouler le fil de son histoire. De ses origines danoises à sa vie au Canada en passant par son enfance en France, le personnage principal dépeint en réalité plus que sa propre existence. De très nombreux thèmes sont en effet abordés et l’écrivain met (entre autres) le doigt sur : - la vie avant le scandale sanitaire de l’amiante, dont la toxicité n’est plus à démontrer. Une partie de l’histoire se déroule dans la ville de Thetford Mines, où une mine est exploitée dans le lucre le plus total au détriment de ses habitants ; - le terrifiant manque de dignité des prisonniers : le milieu carcéral apparaît comme étant gangréné par la folie et l’insalubrité ; - d’une manière générale, la religion et ses incohérences. En refermant le livre, on en est convaincu : tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon.