Interview

Le nouveau chef-d'œuvre de Chris Whitaker

Publié le 03/03/2025 , par Sonatine

Méfiez-vous de Chris Whitaker. Toutes les nuances de la nuit est un livre qu’on qualifierait d’épopée s’il n’était pas aussi intime, de roman noir s’il n’était pas aussi lumineux, de drame s’il n’était pas habité par un souffle de vie aussi implacable que désespéré. C’est un roman qui va vous ébranler. C’est un roman qui va vous chavirer. C’est un roman qui va vous déchirer. C’est à ça qu’on reconnaît les coups de cœur.

 

On lit Toutes les nuances de la nuit d’une traite. Comment est né ce roman ?

Au début, j’avais juste un pitch de thriller en tête : deux adolescents tombent amoureux alors qu’ils sont séquestrés dans une cave. Lorsque le garçon s’échappe, il ne parvient plus à retrouver la jeune fille, et les policiers refusent de croire en son existence. Mais rapidement, l’idée a évolué en une histoire qui ne cessait de prendre de l’ampleur, à propos d’amour et d’amitié. Le récit commence en 1975 et court sur une trentaine d’années, alors forcément il est riche en émotions et en intrigues secondaires. Au début du roman, les événements se passent surtout à hauteur d’enfant. 

C’est un peu le sujet du livre, la façon dont les enfants deviennent des adultes ? 

J’ai eu une enfance difficile. Un membre de mon entourage s’est montré violent envers moi, et ça m’a vraiment foutu en l’air. À l’adolescence, je me suis fait poignarder lors d’un vol à l’arraché. Alors oui, je pense qu’il y a des événements qui vous arrivent dans votre enfance et qui façonnent le reste de votre vie. Et c’est ce point de départ qui m’intéresse, l’idée d’un moment de bascule, qui peut être insignifiant ou massif et profond, mais qui va définir le reste de votre existence et faire disparaître les autres possibilités qui auraient pu advenir. J’essaie de répondre à cette question : si vous avez vécu une enfance difficile, quelle part d’ombre cela va-t-il projeter sur votre avenir, et pouvezvous l’empêcher ? C’est un peu ce qui arrive à Patch : il vit cet événement traumatisant dans sa jeunesse, et je voulais voir comment il allait traverser le reste de sa vie à partir de là.

Pourquoi avoir choisi de situer l’histoire aux États-Unis plutôt qu’en Angleterre, où vous vivez ?

Après mon agression, je souffrais de troubles dus au stress post-traumatique. J’ai lu un livre sur le sujet, dans lequel il était expliqué que pour reprendre le contrôle sur un événement traumatique, on pouvait y repenser en changeant l’endroit, en choisissant un lieu plus positif. Les pires événements de ma vie se sont déroulés à Londres, alors que les États-Unis sont un lieu de souvenirs heureux. C’est amusant parce que ce livre commence en 1975 et se déroule dans le Missouri, un endroit où je n’ai jamais mis les pieds ! Et pourtant, j’ai eu le sentiment en l’écrivant que c’était un livre intensément personnel. 

C’est un roman sur l’obsession. Patch enfermé dans le noir avec cette fille qu’il ne peut pas voir. Il peint sans fin des portraits d’elle. C’est une obsession qui va lui permettre d’aider d’autres familles d’enfants disparus… 

Oui, je voulais que quelque chose de bien finisse par sortir de toute cette histoire. Patch ne parvient pas à s’accomplir lui-même, mais il peut aider d’autres personnes à le faire. J’aimais bien l’idée que l’art s’invite dans son existence, ça faisait de lui un miroir de mon propre parcours. Toute sa vie, Patch est torturé par la culpabilité de s’être échappé de la cave, il pense ne pas avoir droit au bonheur, et c’est un sentiment contre lequel je me bats également. Autour de lui, j’avais besoin de personnages qui ne soient pas constamment concentrés sur leur malheur, mais qui vivent aussi leur vie, qui tombent amoureux. C’est un peu l’idée derrière le titre, Toutes les nuances de la nuit : il est toujours possible de tirer du positif d’éléments négatifs.

EXTRAIT DE THE WATERSTONES PODCAST, 9 JUILLET 2024

 

Toutes les nuances de la nuit, traduit par Cindy Colin-Kapen, en librairie le 6 mars.