Les Braises de Patagonie : Le livre de Delphine Grouès

Ce roman bouleversant nous entraine au Chili, entre combats pour la liberté et quêtes des origines. Les récits de Luis et de Valentina s'entrecroisent pour reconstruire l'histoire d'une famille au coeur de la dictature. L'écriture à la fois brute et délicate de Delphine Grouès m'a complètement emportée et je vais suivre cette autrice avec attention. #LesBraisesdePatagonie #NetGalleyFrance

Années 1950, Valentina est l'une des premières femmes médecin du Chili qui entreprend un long voyage pour soigner les travailleurs des estancias. Celle que l'on surnomme « la doctora » est une femme franche au sourire lumineux, libre de ses pensées et de ses actions et qui n'hésite pas à braver les puissants. Elle sera accompagnée dans son périple par le très beau personnage de « Tcefayek ». Notre époque : Luis vient de perdre sa mère exilée chilienne en France et découvre l'existence d'un père « détenu-disparu » sous Pinochet. Il décide d'entreprendre un long voyage en Patagonie en quête de son histoire familiale, là-bas il découvre « les gauchos ». Celle-ci se révélera fascinante et tourmentée, elle sera faite de rage de vivre, de révolte, de trahison mais aussi de courage et d'espoir. Un roman d'aventures passionnant qui évoque la guerre, le massacre des indiens, la spoliation de leurs terres, les conditions extrêmement difficiles des travailleurs des estancias dans des décors époustouflants où la beauté côtoie l'horreur à chaque instant. Une écriture romanesque qui fait la part belle à l'inconnu et qui ravive les braises du renouveau. « Luis ne pouvait qu'imaginer. Luis dessinerait les ombres. Il comblerait les failles par des images. Il les choierait. »

Les braises de Patagonie c'est une histoire de racines, d’origine. Au décès de sa mère, un fils part pour le Chili pour découvrir d'où il vient et pourquoi sa mère l’a élevé seule au Havre. Parallèlement, nous sommes propulsés dans les années 50, auprès de Valentina, première femme devenue médecin. Deux temporalités, deux destins qui vont converger. Un roman dépaysant, à la construction et narration trop classiques pour que je m'évade vraiment.

La mémorable ouverture met en scène une femme, Valentina prise à cheval dans une tempête dantesque en Patagonie. Elle tient, animée par la détermination de ne pas donner raison aux hommes qui lui disait que la pampa n'était pas « une petite promenade pour les femmes », elle la fille de la Cordillère, l'héritière du clan Silva (rencontré dans le premier roman de Delphine Grouès, Cordillera, qui se situait quatre décennies auparavant). Nous sommes dans les années 1950, et Valentina est une des premières femmes médecins du Chili, envoyée par la Croix rouge soigner les gauchos dans les estancias les plus reculées du pays. Le récit du parcours de Valentina va croiser celui de Luis, Français de 24 ans, qui vient de perdre sa mère en 1998. Et découvre chez le notaire les silences de sa mère, exilée chilienne, qui lui avait caché l'identité de son père, un « détenu-disparu » sous la dictature Pinochet. Il plaque tout pour Santiago pour retracer l'histoire de son père et percer le secret des secrets de sa mère. « Aujourd'hui, elle était au bout du monde, là où les courants des océans s'affrontent, où les glaciers torpillent les roches, où les arbres miraculés naissent suppliciés, où les mers vomissent des épaves, où rien ne pousse, rien ne perdure, où le vent coupe les souffles, où l'on ne se retrouve que pour mieux se perdre. » Le voyage est immersif, le lecteur est totalement embarqué dans ce roman d'aventures. La magie opère. le style lyrique de Delphine Grouès transmet à merveille la musique, la sensorialité, les couleurs des paysages et la force presque surnaturelle de la nature patagonienne, de sa cordillère « là où elle se détache de l'épine dorsale du continent, où elle traverse le Chili de part en part, happée par l'appel de l'océan. Mer, mer, crierait-elle, terre, terre, crieraient les courants du Pacifique, et les roches volcaniques plongeraient dans l'eau glacée, se réinventeraient en fjords, reprendraient une inspiration avant de plonger pour de bon et de disparaître de l'horizon. » Ce roman a du souffle. Et du coeur. Plutôt que de se croiser, les deux arcs narratifs s'entremêlent. On suit Luis et Valentina dans leur quête de liberté ou de racines, pas à pas comme s'ils avançaient au même rythme, prêts l'un comme l'autre à renverser toutes les épreuves, elle la transfuge fille de paysan devenu médecin, femme dans un monde d'hommes, tombant amoureuse d'un homme qui lui échappe ; lui, le novice, qui découvre ses origines chiliennes en même temps que le lecteur. Plus le récit avance et plus ces deux personnages semblent fusionner. L'émotion se démultiplie dans les cinquante dernières pages. Difficile de ne pas sentir ses yeux s'embuer en découvrant ce que l'autrice a prévu pour Luis et Valentina. Et pour Tcefayek, le plus beau des personnages du roman. C'est une des dernières survivantes du peuple premier des Kawésqars, des nomades des mers qui cabotaient le long de la côte chilienne, massacrés par les colons. Elle aussi est en quête des origines, suivant Valentina pour retourner là où sa famille a péri et donc là où elle a survécu enfant. Bouleversant. Ce deuxième roman est une réussite.