Apocryphe : Le livre de René Manzor

Devant une aussi magnifique couverture, une couronne d'épines ensanglantées qui pose le décor, je ne pouvais rester insensible. Hésitante entre deux romans parmi ceux proposés par René Manzor lors d'un salon du livre, la quatrième de couverture d'Apocryphe m'a intriguée et a, définitivement, orienté mon choix. Avec passion, l'auteur m'a longuement parlé du cheminement, tant intellectuel que pragmatique, peuplé de nombreuses recherches, qui a fait germer l'idée d'écrire cette histoire. Jamais n'est mentionné le nom de Jésus ou du Christ. Ce vocabulaire, réservé aux textes d'église, aurait fait basculer ce livre dans une triste parodie. Yeshua de Nazareth est un des nombreux prédicateurs de cette époque troublée, voyageant en Palestine "prêchant" pour un avenir meilleur, attitude réconfortante pour beaucoup, soumis à la domination romaine. Tous les pays occupés le savent. L'oppression crée immanquablement l'émergence de la résistance de la part de groupuscules, plus ou moins importants, afin de préserver leur liberté et d'espérer retrouver leur indépendance. C'est sur ce postulat que l'auteur a bâti son intrigue. Les écritures annoncent la venue d'un Messie et les religieux l'attendent. Des prêcheurs, des rabbins, plus ou moins illuminés, mais néanmoins convaincus, haranguent les foules opprimées. L'armée romaine sévit pour rétablir l'ordre et éviter le soulèvement du peuple juif. Au premier siècle, un rabbin se devait d'avoir fondé une famille. Donc, Yeshua est marié avec un fils, David. Cependant, il est beaucoup moins vindicatif que ses "collègues" et surtout, il est doté d'un charisme hors norme. Il prêche l'amour, le don de soi, la non-violence et il dérange aussi bien, le pouvoir de l'occupant en place que les Juifs sentant leur légitimité attaquée. Ce roman est une fiction, reprenant les éléments d'une période historique qui a façonné le monde d'aujourd'hui. L'auteur ouvre les portes d'une époque troublée, dans laquelle vivent de multiples sensibilités juives, les Nazaréens, les Zélotes, les Pharisiens, les Esséniens, les Sicaires, les Sadducéens, etc. C'est une excellente lecture pour s'informer sur la mosaïque que représentait le pays à ce moment-là. Les hommes et les femmes, dont l'existence a été reprise par la Bible, sont aussi présents, dans un monde plus réaliste, Maryam, Yossef, Mariamne de Magdalena. Barabbas, Longimus, Caligula et le persécuteur Saül, futur Saint-Paul, font aussi partie de l'aventure, car sans eux, elle n'existerait pas. La scène du baiser de la trahison de Judas l'Iscariote, version René Manzor, m'a vraiment séduite. La plupart des délateurs se tiennent dans l'ombre, voire dans l'anonymat, au moment de leur trahison. Il n'est pas courant de voir les traîtres parader aux côtés de l'ennemi pour dénoncer un "ami" en public. Pour moi, c'est un des moments forts du livre qui aide à réfléchir. Il met en évidence que la Bible est une interprétation que les hommes ont donnée aux "textes sacrés", comme une succession de contes à dispenser auprès de la population, avide de se raccrocher à une explication surnaturelle pour avancer dans la vie de tous les jours. J'ai beaucoup d'admiration pour l'auteur. Avoir abordé un sujet sensible dans notre société judéo-chrétienne, au sein de laquelle certains individus sont prêts à n'importe quel extrémisme, est un pari. Il a créé de toute pièce une histoire, basée sur des faits historiques avérés, dépourvue de toute considération religieuse. C'est d'ailleurs pour cela que croyants, comme athées ou agnostiques, peuvent suivre ce roman prenant, au travers du regard d'un adolescent fougueux en quête de vérité, blessé par l'apparent désintérêt de son père préférant parcourir les chemins en prêchant devant d'immenses foules le pouvoir de vertus qu'il ne s'applique pas à lui-même en restant auprès des siens. J'ai apprécié "Apocryphe" par son originalité et l'audace de son auteur. Ce roman propose un polar original permettant de s'extraire des traditionnels du genre.