De grandes dents - Enquête sur un petit malentendu : Le livre de Lucile Novat

Tout le monde connaît la fameuse histoire du petit Chaperon rouge. Par ailleurs, tout le monde connaît la morale qu'on nous donne, surtout enfant. Attention aux inconnus ! Mais si le loup n'était pas si inconnu ? J'avoue ne jamais avoir pensé à cette théorie. Par ailleurs, au début, un peu choquée mais l'humour aide à faire passer la pilule. Une lecture que j'ai dévorée (sans mauvais jeu de mots), où j'ai alterné entre dégoût et malaise. Cependant, on y apprend plein de choses. Il est clair que je ne lirai plus le Petit Chaperon rouge de la même manière.

Avis mitigé sur cet essai. Je trouve que la majorité de son analyse se tient. Il y a de fortes chances pour qu'il y ait un fonds d'inceste dénoncé dans le conte du chaperon rouge. Et qu'il n'ait pas été mis en avant plus tôt, car comme elle et d'autres le disent c'est moins l'inceste qui est tabou que le fait de le dénoncer. Et puis il y a clairement un manque de volonté politique d'y mettre fin, car rappelons-le, la majorité des faits d'incestes sont le fait d'hommes et les hommes ont, depuis bien trop d'années, le pouvoir et la volonté de disposer du corps de l'autre comme ils le veulent. Et spoiler alert, la majorité des personnes de pouvoir sont des hommes. Bref, revenons à l'autrice. Il y a une faiblesse dans son analyse. Elle évoque le fait que ce n'est pas la mère-grand qui agresse l'enfant mais le loup qui a pris sa place et tente de l'expliquer de façon un peu bancale en citant des fictions ou en partant sur des analyses qui tiennent plus que de la spéculation que d'autres choses. Alors que nombre d'analystes de contes ont souligné que leurs personnages agissaient comme des archétypes ou des figures métaphoriques sur les enfants, leur permettant de s'identifier aux héros vaincant leurs démons. Pour moi le loup qui prend la place de mère-grand c est un transfert assez classique. Il est difficile pour un enfant de voir ses parents comme des monstres, il est donc plus facile de diviser le parent maltraitant en deux individus distincts : le parent "aimant " et le monstre qui le maltraite. C'est une analyse que j'ai croisé dans plusieurs études des contes, notamment sur la méchante marâtre : figure maternelle qu'on déteste quand on estime que notre maman est méchante avec nous. Le point qui m'a vraiment agacée ce sont les notes longues et nombreuses où l'autrice nous parle d'elle, de la relation de sa famille aux contes et fictions. J'en ai survolé certaines, lues aucune jusqu'au bout, je ne peux clairement pas vous dire si elles apportent quelque chose, moi je les ai vues comme des apartés nombrilistes agaçants là pour remplir des pages.

Hypée par une publication sur les réseaux sociaux qui présentait l'interprétation de Lucile Novat comme quelque chose de révolutionnaire, j'étais très curieuse de lire sa vision du Petit chaperon rouge. Je ressors mi-figue, mi-raisin. Mi-figue parce que je n'ai pas aimé la plume de l'autrice. Bien trop familière, bien trop sujette à caution, elle parle énormément d'elle, alors que moi j'étais là pour parler de conte. Je n'ai pas aimé ses anecdotes personnelles qui parsèment l'essai. Je n'ai pas aimé sa familiarité artificielle et surjouée avec le lecteur. Ça m'a trop rappelé ces profs qui se la jouaient pour paraître proche de nous quand on était élève. Mi-raisin parce que je m'attendais à un texte plus scientifique qu'il ne l'ait. Certes l'autrice analyse l'oeuvre de Grimm et Perrault ainsi que ses différentes variantes régionales et parsème sa pensée d'incipit d'autres grands auteurs, mais je n'ai pas eu le sentiment d'une démarche scientifique, et pensant lire un essai, je me suis retrouvée avec un objet un peu bâtard, étrange, pas aussi sérieux et fouillé que je l'aurais voulu. Pour autant, j'ai beaucoup aimé son développement, ses rapprochements avec de nombreux textes d'auteurs comme V. Woolf, Freud, Eluard, Yourcenar. J'ai aussi vraiment accroché à ses propositions d'interprétations sur l'identité du loup, du chaperon, de la grand-mère. Elle enfonce nombre de portes ouvertes, mais je trouve important de parler comme elle le fait l'inceste et de violences sexuelles, et de montrer que notre littérature est riche de messages sur ce sujet. C'était très intéressant. Par contre, je n'ai pas du tout aimé son jeu littéraire après son essai, façon ''histoire dont vous êtes le héros'', c'était tellement réducteur dans les propositions, qu'impossible de jouer jusqu'au bout... Première incursion dans les éditions Zones et leurs ouvrages réputés actuels et révolutionnaires. Je ne suis pas fan de la familiarité de la plume. J'aurais aimé un essai plus fouillé et à la démarche plus scientifique. Mais j'ai apprécié le sujet et les propositions d'interprétation de l'autrice dénonçant ce drame tabou qu'est l'inceste pour y être plus attentif. C'est important. Et tant pis pour les portes ouvertes.

Cet essai, passionnant de bout en bout, revisite et décortique le célèbre conte du Petit chaperon rouge, se demandant si l'interprétation courante ne masquerait pas une mise en garde vis-à-vis des agresseurs qui nous sont familiers - les plus nombreux. Avec beaucoup de talent et de sérieux, mais également avec humour, en faisant appel à des versions de tradition orale du conte, et mettant en lien son histoire familiale de façon pudique (les notes de bas de page, comme si ajoutées à la réécriture), l'autrice interroge chaque péripétie, la questionne et nous aiguille vers cette relecture. de nombreuses références et citations accompagnent le propos, et l'on se dit que cette interprétation permet de soutenir et rendre hommage aux Laura, Violette, Lolita, Neige..., voire - s'ils le lisent - de faire comprendre aux témoins silencieux.