Du sang sur Vienne : Le livre de Frank Tallis

Voilà un roman policier comme les aiment ceux qui recherchent avant tout une intrigue qui soit surtout un prétexte pour plonger le lecteur dans l’atmosphère d’un milieu particulier ou, pour les romans historiques, d’une époque. Et quel plaisir quand, de surcroît, il est écrit dans une langue élégante, qui accroît encore le bonheur de la lecture, et avec des dialogues qui renforcent, par leur rendu des modes de relations entre les personnages à l’époque où les évènements prennent place, le sentiment de s’y voir transporté. Ici, il s’agit de la Vienne du tout début du XX° siècle. Un jeune psychiatre aide, par ses raisonnements et sa capacité à pénétrer l’âme humaine, son ami et partenaire de musique de chambre, inspecteur de police chargé de l’enquête sur cette série de meurtre qui bouleverse la société viennoise. Et nous pénétrons, à travers lui, sans jamais nous retrouver bien loin de l'intrigue, de nombreux milieux : celui de la psychanalyse, notamment, par exemple chez le Professeur Freud pour y voir se dérouler l’une des séances de la société de psychanalyse qu’il réunit régulièrement chez lui, mais aussi celui des riches négociants juifs dont font partie la famille du jeune médecin et son éventuelle future belle-famille, que l’on voit dans ces magnifiques appartements et ces beaux immeubles qui font, encore aujourd’hui, le charme irrésistible de ces quartiers de la deuxième moitié du XIX° siècle, résidences de ces industriels, banquiers et négociants dont le dynamisme a fait alors la prospérité de l’empire austro-hongrois et dont nous découvrons la vie sociale, les réceptions, les sorties à l’opéra. L’enquête nous fait également découvrir des sociétés secrètes d’obédiences diverses, voire opposées, mais aussi les milieux artistiques, et nous fait percevoir les extrémités où peuvent mener le sens de l’honneur de certains militaires, ou encore les rages que peuvent susciter chez certains l’évolution des mœurs, comme par exemple l’arrivée de quelques jeunes femmes parmi les étudiants de la faculté de médecine. Bref, une plongée d’une richesse exceptionnelle dans la vie de l’époque où l’auteur situe son roman, qui fait aisément pardonner une intrigue un peu foisonnante, qui frôle par moments la limite de la crédibilité. Quel dommage aussi que l’éditeur français ait choisi un titre assez quelconque, plutôt que de reprendre celui de l’édition originale, "sang viennois", clin d’œil à l’opérette de Strauss, et donc à l’atmosphère que reflète si bien le roman.