La Laverie - Trafics, violences et une vie quotidienne : un an d'immersion au coeur des cités : Le livre de Siam Spencer

La structure du livre interroge, perturbe entre témoignage et analyse (la mise en forme n'est d'ailleurs pas la même). J'aurai aimé que la journaliste fasse un choix. Perso, j'ai beaucoup apprécié la partie témoignage. Ses mots font rejaillir la manière dont cette cité s'est emparée d'elle, de son corps (elle se sent salie par la crasse, les cafards, l'humidité), de ses oreilles (le bruit des balles, les "ça passe" pour prévenir de la présence de la police, la console de son voisin d'au-dessus), de ses yeux (les cafards notamment, de partout), de son esprit (durant sept mois, elle a été avant tout habitante des Moulins, non de Nice, comme un fort sentiment d'identification). Elle y raconte très bien le fonctionnement du quartier, la pyramide en matière de stups, le travail des bénévoles associatifs (des militants au fond), la crainte des mères pour leurs enfants, tacle le bailleur social, pointe du doigt la fin de la police de proximité...

J'étais intéressée par le sujet ; une journaliste dans une cité sensible de Nice : Les Moulins. La première partie est très intéressante ; on y voit Siam à son arrivée aux Moulins, son emménagement dans un tout petit logement dans une HLM. Il faut préciser qu'elle n'a pas eu le choix ; journaliste pigiste, elle n'a pas pu se payer un logement dans Nice, elle s'est installée aux Moulins par nécessité et non par choix. Elle a vécu des coups de feux près de chez elle (elle vit au rez de chaussée), sa porte défoncée à coups de pied pour squatter chez elle, et puis une exécution à la Kalachnikov, arme puissante et destructive qui fait du corps de la bouillie... Du coup, elle dort par terre pour éviter de se prendre une balle perdue. Ce qui est terrible finalement, c'est qu'elle s'y fait au bruit, elle n'y pense plus en quelques jours. Décidemment, on s'habitue à tout. Elle nous narre des anecdotes incroyables, les bruits tout autour d'elle, les points de deal dont le centre est une laverie (d'où le titre), des petits gamins qui font le guet et préviennent les dealers du passage de la Police. On y apprend la hiérarchie du deal ; une équipe à plusieurs niveaux, avec des petits boulots de ci de là. Ils gagnent en un jour ce que gagne un travailleur en un mois, voire plus. Effectivement, c'est tentant. Les chefs en haut de la pyramide se trouvent au Maroc ou bien à Marseille. On ne les voit jamais bien entendu. Les narcotrafiquants sont présents sans être là, les lieutenants sont présents pour faire régner l'ordre établi et punir sévèrement ceux qui renaclent ou trahissent. C'est très violent tout ça, hautement inflammable, aucune pitié, on tue comme on respire... Mais la construction du livre m'a quelque peu gênée ; elle alterne son récit de vie aux Moulins qui est très intéressante, et au milieu de tout ça, elle glisse des pages didactiques sur le trafic de drogue, les délinquants, les associations au coeur de la cité pour que les enfants ne s'ennuient pas, etc. La partie de l'invasion de cafards est monstrueuse, ls sont gros comme des blattes, qui s'infiltrent partout, sans compter les rats gros comme des chats... Pourquoi avoir scindé le livre en deux, est la question que je me pose. J'aurai préféré une grande partie de sa vie, et après, les pages d'explications et de pourcentages. Mais in fine, ce livre est très intéressant car on apprend quantité de choses, nous sommes informés de la vie de la cité, la vraie, celle de tous les jours, la souffrance des habitants, les bailleurs sociaux qui ne font rien ou si peu, un ascenseur en panne des semaines durant, le 9e étage à pied avec les courses... Et puis si, je le dis, nous sommes pour la plupart des petits veinards de vivre dans des endroits choisis, propres, heureux de nos cadres de vie. Et en plus, on râle, nous sommes des enfants gâtés, tout simplement. Merci à Siam pour tous ces témoignages, et pour son courage, et pour sa ténacité. Elle nous livre un ouvrage fort bien écrit et intéressant, malgré une mise en page qui m'a dérouté quelque peu...