Le mystère Mussolini : Le livre de Maurizio Serra

Voici un livre d’histoire qui se lit comme un roman, car Maurizio Serra est avant tout un très grand écrivain, et aussi parce que Mussolini, loin de l’image du pantin fanfaron qu’on s’en fait encore en France, était un personnage d’une complexité surpassant la plupart des héros picaresques de notre littérature. Livre d’histoire plus que biographie en ce qui me concerne, bien qu’il ait reçu des distinctions dans les deux domaines : le Grand Prix de la biographie politique et le Prix du livre d'histoire du Nouveau Cercle de l'Union. Car au-delà de la personnalité de Mussolini, c’est l’histoire du fascisme et de l’Italie du début du siècle dernier qui est explorée dans ces pages. Cette épure de la vie du Duce se distingue d’abord par ses qualités didactiques. Serra expose avec clarté le projet politique du personnage : une mystique totalitaire qui fut l’essence de son action. Il ne dissimule aucune des erreurs de cet autodidacte misanthrope et cultivé, un homme qui a "toujours menti", "parfois à son corps défendant », mais toujours animé par un "souverain mépris pour les hommes". D’où cette incapacité à partager le pouvoir, voire tout simplement travailler, même avec les personnages les plus brillants de son entourage comme Grandi et Bottai. L’auteur cherche à voir l’homme, derrière le masque et les images trop connues et simplistes généralement véhiculées sur le dictateur le plus sibyllin, le plus déroutant et le plus difficile à cerner du XXème siècle. Fort d’une immense documentation, il nous livre nombre de détails sur le personnage, des plus connus comme le fait que Mussolini se cachait dans Milan pendant la Marche sur Rome, au cas où les choses auraient mal tourné, aux plus anecdotiques comme cet épisode qui personnellement me ravit tant il me rappelle certains pervers manipulateurs que j’ai pu croiser au cours de ma carrière, où le dictateur, en pleine nuit, met une pression pas possible sur l’administration du Ministère de la Marine au sujet d’une 5ème frégate anglaise croisant au large de l’Italie alors qu’il n’en avait autorisé que quatre ! Et puis, il y a cette analyse du fascisme italien. Maurizio Serra décrypte avec beaucoup d'érudition comment un ancien militant socialiste a pu, une fois arrivé au pouvoir en 1922, subjuguer un peuple italien qui, historiquement, s'était toujours montré rétif à toute sorte de domination, jusqu’à l’entrainer dans une alliance contre-nature avec les nazis et le faire sombrer dans une guerre pour laquelle il n’était pas préparé. Beaucoup plus abordable que les cinq mille pages de la biographie que Renzo De Felice, qui fut le maître historien de l’auteur, avait consacré au même sujet, plus complet peut-être, plus « psychologique » certainement que celle de Pierre Milza, cet ouvrage est passionnant de bout en bout et constitue probablement la biographie de référence en langue française sur Mussolini.