Le tilleul du soir : Le livre de Jean Anglade

Le tilleul du soir, c'est le moment de paix intérieure de Marthilde au Doux Repos. Avec Françoise, qui a deux solides estomacs qu'elle promène gaillardement devant elle et attirent les hommes, seule ou avec un ou une coreligionnaire, en toute médisance sur les autres pensionnaires. Elle est vieille, Mathilde, et après quelques ennuis de santé, elle se décide à mettre de l'ordre dans ses affaires, de fermer sa maison et d'aller dans une maison de repos, à Entraygues. L'Auvergne dans toute sa splendeur. Le Doux Repos, c'est le mouroir local. Celles et ceux qui ont fréquenté ce genre d'établissements retrouveront sous la plume de Jean Anglade la quintessence de ces endroits de passage (plus ou moins long). Le personnel encadrant, les pensionnaires frappés d'Alzheimer ou de douce démence, entre méchanceté et bienveillance, et les proches qui viennent chercher une avance sur héritage. Jean Anglade survole tout, sans trop d'a priori ou de jugement. C'est le point positif. Mais, il survole, et c'est là le hic. Il accumule les petites scènes comme des perles, pour faire une grande pièce. Et c'est là que se situe mon reproche. On a des éléments qui s'enfilent, sans trop de cohérence (autre que l'unité de lieu et de temps), on passe d'un instant suspendu à un autre instant suspendu. Le repas, la Noël, une visite, le 14 juillet, une centenaire à fêter... à mon sens, il manque un récit. On est spectateur d'une fin de vie, c'est la vie, mais si Jean Anglade me divertit un peu, il n'arrive pas à m'émouvoir.

Un je ne sais quoi m'a empêchée de savourer pleinement l'histoire de Mathilde, vieille auvergnate, de plus en plus vieille. Est-ce le style régionaliste émaillé d'expressions locales ? Est-ce la description de la vie dans une maison de retraite de campagne il y a cinquante ans (rien que d'y penser j'en ai la chair de poule) ? Et pourtant j'ai été touchée par cette personnalité stoïque, qui ne se complaît pas dans les regrets, qui se conforme aux usages même s'ils ne lui conviennent pas si bien que ça ; et qui reste fidèle à elle même quand la vieillesse la rattrape définitivement.

J'avoue que j'avais un gros préjugé sur ce livre et cet auteur. En voyant la couverture, l'année de parution et le fait que cet auteur s'inscrit dans une littérature du terroir, j'avoue que j'ai eu l’idée reçue que ce livre allait être vieillot, et bien je me suis prise une petite claque ! Je l'ai tout simplement lu d'une traite. Dès les premières pages, j'ai adoré le personnage principal, Mathilde, son côté honnête, drôle et attachant. L'auteur a un style hyper vif, dynamique, il ajoute du patois auvergnat ce qui donne un aspect très authentique à son texte. Je me suis attachée à ces petits vieux du “Doux repos” et je me suis surprise à les regretter en fermant le roman. Je trouve que l'auteur a réussi à capter avec beaucoup de finesse la psychologie de ces personnes âgées, l'ambivalence entre le fait de ne pas vouloir être un poids pour ses proches et en même temps le désir d'être à leurs côtés, le retour dans un état d'enfant, le corps qui lâche, et l'esprit qui s'étiole petit à petit et se raccroche à des choses qui paraissent dérisoires, parfois étonnantes.

Qu’écrire après le magnifique billet de AtelierdeClaire ? C’est une lecture qui m’a touchée. L’ouvrage traite du difficile choix que doit faire Mathilde, âgée et isolée tant du point de vue familial que géographique qui finalement se résigne à rejoindre Le Doux Repos. On s’attache très vite à cette vieille dame, pleine de bon sens et de résilience. Les choses difficiles sont dites avec beaucoup de délicatesse et d’humour. La plume est belle, la langue est chatoyante. Jean Anglade nous régale d’une belle galerie de portraits et nous ramène au début des années 1970 dans la campagne auvergnate, quand devenir centenaire était un événement local célébré par la presse et les autorités et quand la télévision qui n’avait que deux chaînes faisait tout juste son entrée dans les foyers. J’ai trouvé la charge un peu lourde envers ces enfants qui sont tous absents ou maltraitant vis à vis de leurs aînés (il n’y en a vraiment pas un pour racheter l’autre ! ) mais cela n’ôte rien au charme de cette lecture.