L'esprit critique pour les Nuls : Le livre de Thomas C. Durand

Le résumé en quelques lignes : ******** 3/5, pas plus, pour cette lecture poussive sur l'esprit critique, que je ne recommande pas du tout (il y a bien mieux). Pourquoi ? Deux raisons principales (le reste dans l'analyse détaillée plus bas) : davantage une histoire de l'anti-esprit critique qu'une méthode d'esprit critique ET contenu très inégal, avec des chapitres excellents des chercheurs interviewés qui contrastent avec les propos très peu clairs et partant dans tous les sens de l'auteur principal. On n'est pas face ici à une référence académique, rigoureuse et ça s'en ressent terriblement. Mon avis en résumé (détails plus bas) : ******** Premièrement, il ne s'agit pas d'un livre de méthodes et de conseils (comme l'excellent "Petit Cours D'autodéfense Intellectuelle" de Normand Baillargeon) mais davantage d'une "histoire" de l'anti-esprit critique. Ce n'est absolument pas le coeur du sujet et c'est extrêmement dommage (et un peu trompeur vis-à-vis de la 4e de couverture). Il faut attendre la page 292 pour tomber sur une premier aperçu concrets de "méthodes", mais ça s'arrête très vite. L'auteur semble davantage intéresser par les "contre-exemples" de l'esprit critique (ex : l'homéopathie, le complotisme, le mythe de l'Atlantide, etc.), il n'applique pas son propre conseil : tout comme on n'apprend pas à conduire en étudiant les accidents de la route (analogie donnée dans le livre) on n'apprend pas tellement l'esprit critique en étudiant les domaines dans lesquels ils sont absents. Et enfin, la lecture est très poussive et complètement inégale : malgré l'intérêt qu'il a pour le sujet, les chapitres rédigés par l'auteur lui-même (et non les interviewés) sont proches de la catastrophe industrielle : après un premier paragraphe d'introduction, ça part souvent dans tous les sens. avec des digressions constantes et une absence de "fil rouge" (annoncé à l'avance ou non). La construction du livre elle-même n'est pas particulièrement claire ou progressive (ex : on passe de la médecine au complotisme ?!). Lorsqu'il n'a pas d' "appuis" méthodologiques ou théoriques comme base pour son discours, son propos ressemble à une mauvaise copie de philosophie : à force de vouloir "penser par lui-même" sans convoquer de références, ça donne un gloubi-boulga assez informe. Cela est d'autant plus visible que le livre est entrecoupé d'entretiens avec des chercheurs et experts, qui ont eux, pour le coup, le mérite d'être extrêmement clairs, rigoureux, nuancés dans leur propos. Que lire de mieux ? En priorité, "Petite traité d'autodéfense intellectuelle" de Normand Baillargeon. Tous les livres de Gérald Bronner. Les livres sur les biais cognitifs, les jugements erronés de David Robson, Olivier Sibony, Christian Morel. "Penser par soi-même" de Michel Tozzi pour adopter de bons réflexes d'argumentation et de structuration. (+) En détail, ce que j'ai apprécié : ******** - 5 à 10% du bouquins est intéressant et j'ai découvert des choses ou pu approfondir des sujets (ex : Dunning-Kruger bien expliqué) - Attitude de métacognition, avec du recul en permanence sur ses affirmations, se faisant l'avocat du diable en permanence - Chapitres d'entretiens avec des experts et chercheurs, qui sont de véritables bulles de respiration (de clarté, de rigueur, de pédagogie) dans l'océan de propos un peu vaseux de l'auteur - à l'exception d'un des premiers entretiens avec un YouTubeur, Vled Tapas, indigne de figurer dans un livre à grand tirage, avec des références risibles (-) En détail, ce que je n'ai pas apprécié et qu'il faudrait revoir : ******** - Davantage une histoire de l'anti-esprit critique qu'une méthode pour se doter d'esprit critique. Il faut attendre la page 292 pour toucher à des conseils, sans que cela soit pour autant, très satisfaisant - Ouvrage sans structure logique ou ordre cohérent entre les grandes parties, mais également à l'intérieur même des chapitres (voir ch. 16 et 17 à titre d'exemples) : l'auteur ouvre généralement le sujet puis, sans annoncer "son plan", part dans des digressions constantes sans arrêt. La lecture est très, très poussive. C'est un calvaire pour ceux qui comme moi, sont habitués à des lectures cadrés, avec des gens qui savent ce qu'il veulent dire (y ont réfléchi) et déroulent leur plan. - Choix des thème très douteux quand, par ailleurs, l'essentiel n'est pas présent sur le reste du livre : on passe d'un exposé de la méthode expérimentale en médecine au complotisme. Un chapitre entier quasiment consacré à l'astrologie... Plusieurs pages sur l'Atlantide à partir de p. 353, dont 8 pages d'entretiens avec un expert sur le sujet ! On n'a absolument pas besoin d'autant de détails !! - Très grosses lacunes de clarté d'expression, de concision et de "focus" : l'auteur digresse constamment (déjà évoqué) mais surtout, n'a pas une pensée très rigoureuse et référencée (sauf exceptions). Il veut penser par lui-même et ça donne des paragraphes entiers "vagues", composés de mots mais qui ne veulent pas dire grand-chose dans son ensemble, ou alors des banalités. Ex. avec le ch 11 ou le dernier paragraphe du ch. 13. L'auteur aurait dû s'appuyer davantage sur des cadres (théories, livres, sources, auteurs...) pour éviter cela (ce qu'il fait très bien quand il y pense, c'est dommage !). On ne comprend quasiment rien au chapitre sur l'épistémologie (et pourtant, j'ai déjà lu beaucoup de choses dessus). - Pensée non rigoureuse et sourcée : par ex, le chapitre 9 sur "Raison et émotions," ne mentionne pas une seule fois l'auteur "Antonio Damasio", référence mondiale sur le sujet. Ca lui aurait éviter les élucubrations. Ou dans le chapitre 13, rien sur Gérald Bronner alors qu'il travaille depuis des années sur les fausses croyances, l'endoctrinement des terroristes et les multiples biais cognitifs d'un point de vue "sociologique" . L'auteur affirme parfois des choses fortes (scandaleuses ?), de manière péremptoire sans chercher à creuser : ex p. 299, les médias mainstream sont accusés de véhiculer plus de fake news qu'internet... ?! Autres défauts mineurs : - Anglicismes par dizaines : expressions, mot, etc. Des "fallacies". Omineuse (pour ominous). Besoin de clôture (pour closure), etc. - Langage souvent un peu relâché, avec un ton peu académique, qui dessert le propos - Rattache de grandes phrases bateau à des sources scientifiques ultra précises qui semblent vaguement liées (ex p. 206, note 3) - Comme dans ses autres bouquins, utilisation inutile et intempestive de synonymes ultra rares pour impressionner les lecteurs, alors qu'un mot plus simple et au sens identique existe : allocutoire, véridiction, etc. On sent le petit complexe de supériorité poindre ici. - Des erreurs d'édition (ex : bandeau récap p. 155 est le même que la page 145)