Tartarin de Tarascon : Le livre de Alphonse Daudet, Laurent Corvaisier

Livre avalé presque d’un trait. Tartarin n’a jamais quitté Tarascon mais s’invente de bonne foi des aventures chez les tartares. Il est un notable à peu de frais jusqu’au jour où, piégé par une anodine remarque devant le lion d’un cirque, il est poussé par les Tarasconais à partir chasser le roi de l’Atlas, si tant est qu’il existe encore. Moitié Don Quichotte et moitié Sancho Pança, ses aventures en Algérie fraîchement française à l’ambiance étrangement mêlée d’Orient et de ville de garnison amusent de plus expérimentés que lui et nous font sourire. Le personnage, malgré tous ses défauts, est bonhomme comme le ton du livre. Daudet nous fait rire aux dépends de Tartarin mais lui ménage un triomphe final qu’il mérite bien un peu. Une comédie réjouissante et très bien écrite (un chef d’œuvre dit Flaubert).

Il est marrant ce Tartarin, ce provençal d'une époque pas si lointaine qui se retrouve à devoir quitter sa terre natale, et le confort d'une vie casanière, pour aller chasser le lion de l'Atlas. Car la réalité rattrape la fiction pour notre bon Tartarin : plus de discussions avec les collègues, plus de lectures de romans d'aventures, adieu la maisonnée emplie de breloques du monde entier, et en-avant direction l'Algérie pour une chasse qu'on espère épique. Alphonse Daudet est un conteur doué, sous sa plume la farce est agréable et les rebondissements sont amusants. Tour a tour les aventures se révèlent être joyeuses, burlesques, ridicules, passionnées, dépaysantes, amères, sentimentales, ou même assez touchantes. L'hyperbole marseillaise s'invite par moments elle aussi ! Tartarin de Tarascon oscille entre la fable, l'aventure, la blague et le conte. Au-delà de son aspect assez léger, sympathique, le livre aborde tout de même un côté plus philosophique qu'il n'y paraît de prime abord : la dualité qui oppose le Tartarin aventurier et le Tartarin casanier (Quichotte vs Sancho Panza) nous la traversons tous un jour ou l'autre, et cet affrontement du mental contre notre nature profonde est plutôt bien retranscrit à travers les dilemmes que le tarasconnais subit. Si Daudet se révèle être un écrivain talentueux de par son sens de l'accroche, du bon mot, et quelques lignes fort joliment écrites, si l'on retrouve aussi l'esprit colonial de l'époque à travers le vocabulaire employé et certaines références, on peut tout aussi bien noter des relents antisémites à plusieurs reprises dans l'ouvrage, qui se doublent d'un racisme latent (l'esprit colonial donc) envers les autochtones (nègres, maures, arabes, etc). On comprend vite que le livre est donc aussi le témoignage d'une époque qu'on souhaite révolue, qui démontre, alors que le temps passe, que chaque époque connait des errements, des fautes, et pourtant, oui, pourtant, ce temps pas si lointain avait tout de même de bons côtés également. Car il se dégage de l'oeuvre une naïveté, une envie de vivre, un côté bon enfant, qui peuvent manquer de nos jours. Hors de toute posture morale on peut apprécier le livre pour ses nombreuses qualités, tout en pointant du doigt ses limites ou ses dérives. Un bouquin Tartarintéressant donc !

Même si son aura décline, Tartarin reste un incontournable de l'imaginaire provençal. Si l'on veut lire Tartarin de Tarascon aujourd'hui, il faut faire un effort. Essayer de gommer toutes les traces de l'inconscient collectif qui en a fait une icone. Oublier les caricatures, les pétoires improbables, le fez... Essayer de se remettre en contexte. Effacer certains préjugés. Développer son propre imaginaire. Et ne pas oublier que Flaubert considérait que c'était un chef d'œuvre.

Le pauvre mais vantard Tartarin, à force de glorifier ses capacités de chasseur, se voit forcé par son public, lui, le Tarasconnais qui avait tout au plus mis un pied à Beaucaire, à prendre le bateau pour l'Algérie et y chasser le lion. Rien ne se passe comme prévu et les aventures africaines de notre anti-héros bien que cocasses s'avèrent en fait assez lamentables... Ah relire Tartarin, quarante ans plus tard! Et j'ai encore bien aimé. J'ai bien ri. J'ai aimé la phrase légère, les envolées d'ironie, ces "Cet homme, c'était Tartarin, Tartarin de Tarascon, l'intrépide, le grand, l'incomparable Tartarin de Tarascon." Ou encore ces "Un Lion, mille dieux!... Et de l'Atlas encore!!! C'était plus que le grand Tartarin n'en pouvait supporter..." Pour moi, c'est du grand art, de la prose comme on en fait plus... Et heureusement! Si le style est beau, que le fond est bête. C'est de la bouffonnerie sur le dos des Provencaux, des Noirs, des Juifs, je cite "le soldat tape sur le colon, le colon tape sur l'Arabe, l'Arabe tape sur le nègre, le nègre tape sur le juif, le juif, à son tour, tape sur le bourriquot". Est-ce encore de l'ironie? le lecteur jugera. Moi qui adore toujours Tintin au Congo je ne condamnerai pas plus Daudet qu'Hergé, mais émettrai, comme il est de bon ton aujourd'hui, quelques avertissements quant à ce texte un peu vieilli.