À la lisière du monde : Le livre de Ronald Lavallée

Grand Nord Canadien, 1914. Matthew Callwood est un jeune policier qui vient d'être affecté dans un village isolé au bord d'un lac. Quelques cabanes en bois peu engageantes où pullulent des trafiquants d'alcool et une population hétéroclite. Matthew est idéaliste et il est bien décidé à faire régner l'ordre. Mais le policier déchante rapidement et son travail s'avère finalement être loin de ce qu'il s'imaginait. Touché par l'ennui et déçu ne pas être mobilisé sur le front en Europe, il décide de se lancer dans la traque d'un homme en cavale, recherché pour le meurtre de sa femme et de son enfant. J'ai été agréablement surprise par ce roman qui nous plonge au cœur de paysages grandioses dans un village où la vie y est particulièrement rude. Le dépaysement est total grâce à Ronald Lavallée. Par ailleurs, l'intrigue est rythmée, la nature très présente et la traque apporte son lot de suspense. Mais les longueurs dans la dernière partie du récit sont venues essouffler mon plaisir de lectrice. Il n'en demeure pas moins que la belle plume de cet auteur canadien mérite que l'on s'attarde sur cette histoire agréable à découvrir.

Après une centaine de pages, j'ai cru avoir entre les mains un de ces livres de chasse à l'homme, entre un tueur et un représentant de la loi,très bien écrit mais tellement banal... J'ai survolé le livre jusqu'à la fin. Surprise ! L'histoire prend une direction inattendue, les personnages évoluent et surprennent. Je suis revenue en arrière, la meilleure façon d'avancer parfois, et j'ai repris ma lecture, en détail cette fois. Pour le plaisir...

Eh bien, il s'en passe de belles à la lisière du monde ! Matthew Callwood, jeune policier bien élevé, débarque un jour de l'été 1914 chez les sauvages, dans un village perdu du Saskatchewan, dans le Grand Nord canadien. Le village est essentiellement peuplé de Cris et de Blancs peu fréquentables, auxquels Callwood, convaincu de la "mission civilisatrice de la police", entend faire respecter le droit de sa gracieuse majesté. Il n'hésite donc pas à coller des amendes aux habitants qui n'ont pas d'argent, et aussi à affronter les trafiquants, mais il brûle surtout de trouver Moïse Corneau, sinistre assassin qui se cache dans la forêt avoisinante. Mais Moïse Corneau existe-t'il seulement, ou ne serait-il qu'un fantôme qui hante les marais ? Quel étrange roman que celui-ci, qui mélange de façon brillante : aventure, humour, nature, politique, mystère. Le résultat est tout à fait surprenant, tant Ronald Lavallée parvient à harmoniser ces différentes thématiques en un récit cohérent et qui a du sens. Car même si cette histoire ressemble à une farce burlesque, avec ce jeune flic idéaliste qui se confronte à la réalité du terrain et des hommes, elle aborde des sujets graves qui intriguent, dérangent, interrogent, tels que la loyauté envers soi-même, le conflit de classe, la bonté de la Nature, ou le devoir patriotique : "- Le pays est bien en guerre, non ? - Faux ! Ce sont les gros pleins de soupe qui sont en guerre. Et ce sont les pouilleux comme Harvey qui se font casser la gueule. (...) - Non mais t'es pas bien ? Tu veux mourir pour ces foutus Brits ? Vraiment ? T'es prêt à te sacrifier pour un morveux à pedigree ? Pour un lordship qui te pense tout juste bon à vider son pot de chambre ? Ca t'arrive de raisonner un peu ?" (paroles plus que jamais d'actualité) Je me suis laissée prendre à ce roman qui ne ressemble à aucun autre, attendant avec impatience le moment de le retrouver pour poursuivre ma lecture, tant les personnages sont singuliers et les rebondissements inattendus. Et puis, je le répète : c'est infiniment drôle, tant dans les dialogues que dans les faits. Sacré exploit, donc, de Ronald Lavallée, qui distrait, amuse et fait réfléchir en un seul livre, et me donne envie de découvrir la suite ("Le crime du garçon exquis") -et de vous faire découvrir celui-ci. Si le dépaysement spatiotemporel vous tente, n'hésitez pas à filer vers la lisière du monde du début du XXe siècle : vous devriez en revenir tout aussi enthousiastes que moi. Du moins, je vous le souhaite.

Roman d'aventure à la western, où un homme d'honneur tente de faire régner la loi, à la lisière du monde, là ou Force fait loi et ou l'homme blanc se croit encore plus supérieur qu'ailleurs. Ce roman mêle roman social en abordant la façon dont les premiers peuples sont traités au Canada et l'injustice sociale, traque policière façon western et roman d'aventures et de grands espaces. Ceux qui ont aimé l'ambiance glacée de Norferville de Thilliez trouveront une ambiance similaire, à peine moins violente, ceux qui aiment le nature Writing aimeront aussi, mais ce roman me fait surtout penser au viel adage qui dit que là où règne l'injustice la place d'un homme de bien est derrière les barreaux. Car c'est là le cœur de ce roman. Matthew Callwood ( au nom prophétique soit dit en passant) part au fin fond du Canada pour faire régner la justice et arrêter un fugitif reconnu coupable du meurtre de sa famille et d'un couple innocent. Or là où les premiers peuples sont déchus de leur tradition, leurs enfants arrachés pour être envoyés en pensionnat et être reconditionnés, là où les trafiquants font la loi, les monstres ne sont pas forcément qui on croit, Matt devra peut-être se salir les mains pour faire appliquer sinon la loi, au moins la justice. Aucun personnage n'est tout blanc, sans mauvais jeu de mots, mais il y en a bien un ou deux dont l'âme est pourrie et ceux-là , on se réjouit clairement de leur sort.