L'Autre Fille : Le livre de Annie Ernaux

Avec L'Autre fille, Annie Ernaux poursuit son projet autobiographique en explorant un pan de son histoire qu'elle-même n'a pas connu : l'existence d'une soeur aînée, décédée avant sa naissance et dont l'héritage silencieux et invisible dans la famille a influencé son devenir et son propre rapport au monde. À travers une lettre fictive adressée à cette soeur disparue, Ernaux interroge les non-dits familiaux et leurs conséquences sur la construction identitaire de chacun(e). Une phrase prononcée par sa mère à propos de la soeur disparue et d'elle-même, devient ici le noyau d'un questionnement existentiel : "Elle était plus gentille que celle-là". Ernaux dissèque les effets insidieux des mots (des maux) parentaux sur l'estime de soi. Ce qui m'a le plus intéressée dans cette "lettre", c'est qu'Ernaux ne parle pas seulement de sa propre histoire : elle évoque un phénomène universel, celui de la place qu'on nous assigne dans une famille. Ce texte dépasse donc la simple confession personnelle. Dans cet impossible dialogue avec le passé, je dois avouer que je me suis sentie confrontée à mes propres fantômes. Un très beau texte écrit dans une langue brute et dans un style d'une grande sobriété.

L’acte d’écrire peut-il être un exutoire ? Annie Ernaux a entendu parler de sa sœur décédée alors que les adultes pensaient qu’elle n’écoutait pas. Combien d’erreurs commet-on en croyant que les enfants ne comprennent pas ? Combien de non-dits, de « cadavres » dans les placards découvriront-ils ? Et que dire de la phrase : « Elle était plus gentille que celle-là » ?. C’est une remarque terriblement destructrice ; non seulement la personne qui reste est appelée « celle-là », comme si elle n’avait pas de prénom, comme si elle n’existait pas, mais en plus, elle est moins gentille… Comment Annie Ernaux a-t-elle pu se construire, garder l’estime d’elle-même après de telles remarques ? « Est-ce que je t’écris pour te ressusciter et te tuer à nouveau ? » demande t’elle dans cette longue lettre à celle qui restera à jamais une inconnue. J’espère, de tout cœur, qu’elle a écrit pour elle, pour être soulagée de ce fardeau trop lourd en le partageant de si belle manière, par l’intermédiaire de son écriture douce et voilée, avec ses lecteurs ….

« L’autre fille » est la sœur d’Annie Ernaux. Celle-ci apprend par hasard, à l’âge de dix ans, qu’elle a eu une sœur, morte quelques années avant sa naissance. Comment vivre avec un secret de famille ? Comment vivre en étant la sœur méchante d’une fille restée parfaite puisque partie trop tôt ? Les mots d’Annie Ernaux sont forts, poignants et ce petit livre, premier de cette écrivaine pour moi, ne sera pas le dernier.