Les chaînes sans fin - Histoire illustrée du tapis roulant : Le livre de Yves Pagès

Les Chaînes sans fin entraine les lecteurs dans un étrange périple. Car le tapis de cours n'est qu'une des répercussions, parmi cent autres, de l'invention du tapis roulant. Sans lui, le monde actuel n'existerait pas. [...] C'est ce que met en lumière cette enquête originale, mêlant archives et films, récits et réclames. Son mérite est d'être extraordinairement précise et documentée tout en cheminant " à saut et à gambades " comme disait Montaigne, afin de ne pas tourner en rond.

Parce qu'il n'est ni historien ni spécialiste des techniques, l'écrivain et éditeur Yves Pagès s'est offert une grande liberté dans la compilation
de ses sources et la mise en scène de leurs échos, évitant ainsi de
virer Sisyphe et de tourner à vide dans son objet d'étude. (...) Un essai passionnant.

"Dévoiler la terreur en faisant exister l'espoir d'une beauté résistante, c'est la force majeure de ce livre marquant."

C'est précisément ce qui fait tout l'intérêt et le charme de ce texte : à l'inverse de son objet, il n'est pas linéaire. Il fait des boucles, des bifurcations, il revient en arrière. Bref, par sa forme fragmentaire et sa conduite accidentée, il déjoue un récite téléologique du progrès qui veut qu'une technique suive le cours d'une amélioration constante jusqu'à trouver son usage parfait et définitif. Le livre ne cesse de monter les soubresauts, les détours, les impasses qui font le plus souvent la vie d'une technologie.

Dans cet exercice malin et très documenté, Yves Pagès montre les implications idéologiques et économiques d'une technologie dans une civilisation Sisyphe qui a fortement inspiré les riches heures du cinéma muet.

Yves Pagès propose une généalogie de cette pièce centrale de la révolution industrielle, à la fois catalyseur d'aliénations et allégorie des croyances aveugles dans le progressisme.

Pagès consolide ici un type d'écriture à la fois maniaque dans la description de ses objets d'attention et poétique dans l'évocation de ses effets. En faisant la généalogie du tapis roulant - des roues à écureuil- prisées par les Britanniques dès le XVIIIe siècle aux step mills des salles de fitness d'aujourd'hui -, l'auteur interroge le "sens' politique de ces tapis de course.

Il n'en reste pas moins que Les chaînes sans fin a des allures de puits sans fond, pour une lecture que l'on souhaiterait sans fin. Comme un tapis roulant.|Vincent Glavieux

En retraçant l'histoire du tapis roulant, Yves Pagès livre une réflexion stimulante et cocasse sur le capitalisme dans ses avatars les plus absurdes.

Un jour tardif de la révolution industrielle, un gars invente le "manège à tablier sans fin", dit aussi "trépigneuse" ou "batteuse à plan incliné". Pour bien comprendre de quoi il s'agit, il faudrait une illustration. Ça tombe bien, l'essai foisonnant d'Yves Pagès, romancier, essayiste et copatron des éditions Verticales, en est plein.

Pourquoi désire-t-on aller nulle part au plus vite, se déplacer en faisant du surplace, perdre sa vie à la rattraper ? C'est la question métaphysique qui accompagne cette histoire foisonnante jamais documentée jusque-là dans sa globalité. En s'attardant sur une multitude de techniques déployées depuis le XVIIIe siècle pour faire rouler sur des tapis des animaux, des marchandises et des humains, l'auteur perçoit l'esprit tordu de notre temps, raccordant l'accélération et le surplace, l'inventivité et la stérilité, l'ingéniosité et l'absurde, la vitalité et le morbide.

Au cours de l'ouvrage, le tapis roulant se révèle, par son passé disciplinaire et par ses applications hygiénistes et usinières, comme possédant tous les attributs de la modernité capitaliste : une fuite en avant, un éternel recommencement, un progrès immobile.