Magnifique : Le livre de Jean-Félix de La Ville Baugé

. Je l’ai lu d’une traite. Magnifique écrit son histoire pour son mari juste avant une intervention chirurgicale, au cas où celle-ci se déroulerait mal. Elle lui raconte ce qu’elle n’a jamais réussi à lui dire tant c’est difficile pour elle. Comment elle survécut au génocide du Rwanda et ce qui s’est passé avant leur rencontre au centre de soin après que les soldats la trouvèrent. Un roman bouleversant, sublime et puissant. Un récit qui fait froid dans le dos. C’est monstrueux que des humains fassent des choses si horribles. Le courage de Magnifique force l’admiration, mais laissera à jamais des séquelles. Je vous conseille fortement de le découvrir.

1994, 100 jours de massacre des Tutsis au Rwanda. Magnifique perd toute sa famille et tente de survivre. Elle est recueilli par les FDR et rencontré Jerome à l’hôpital. Elle réussira à vivre et crée sa famille mais les souvenirs de ces 100 jours la hanteront toujours. Témoignage de l’horreur, de l’incompréhension de l’inimaginable.

Survivre est une chose, revivre ensuite en est une autre… Le génocide des tutsis a constitué la conclusion tragique d’un XXème siècle qui débuta par celui des hereros. Magnifique, prénom de l’héroïne de ce court roman a échappé miraculeusement à la mort mais aucun des siens n’a survécu. Comment dès lors se reconstruire ? Comment même pouvoir trouver les mots ? La littérature regorge d’histoires de survivants : arméniens, juifs, tziganes, cambodgiens. Elles corroborent souvent les écrits historiques. La parole n’est pas facile lorsque l’horreur est forte, que l’expérience ne peut être partagée parce qu’une telle douleur est inimaginable… Magnifique a vécu une expérience effroyable, elle a su se reconstruire mais il a suffi qu’une bénigne opération chirurgicale soit programmée pour que cette femme ressente le besoin de raconter son histoire. Pas à n’importe qui, à ce mari qu’elle rencontra là-bas. Son sauveur ? Les circonstances de cette union insolite, les réactions de sa « belle » famille, tous les éléments de cette intrigue familiale sonnent juste et confèrent à ce roman une véracité remarquable d’autant que l’auteur écrit sans en rajouter dans le pathos. En revanche, l’analyse des responsabilités historiques m’a laissé plus circonspect d’autant que le biais employé pour l’aborder m’a semblé maladroit et surtout peu crédible. Difficile d’imaginer en effet un débat à deux entre un universitaire hutu et une victime tutsi avec comme seul modérateur une journaliste généraliste de la télévision suisse romande. Il n’est pas question de dénier le droit à l’auteur, qui connaît bien le drame rwandais, d’exposer son opinion historique voire politique mais sa prise de position détourne, heureusement le temps de quelques pages, l’attention que l’on porte à la voix singulière de Magnifique. Un bémol véniel pour un roman que l’on ne prend pas grand risque à essayer puisqu’il est très court.

Cette chronique n’a pas été facile à rédiger, car il m’a été difficile de lire Magnifique sans que l’histoire ne résonne trop fort avec la mienne. Ce livre m’a plongé dans une réalité que je n’ai jamais pu fuir totalement : celle du génocide du Rwanda. Écrire à ce sujet est un défi, car la violence des hommes atteint des sommets qui la rende indicible. Ce roman de Jean-Félix de La Ville Baugé, pourtant, ne cherche pas à adoucir, ni à détourner le regard. C’est, à mes yeux, ce qui le rend exceptionnel. L’écrivain nomme les choses pour ce qu’elles sont, sans détour, sans faux-semblant. J’ai trouvé que peu d’œuvre sur le génocide du Rwanda parvenaient à nommer si clairement l’horreur vécue. Souvent, on parle « des évènements » ce terme vague et dissimulé, qui minimise la réalité du génocide. Mais ici, l’écriture est claire et sans compromis. Elle nous plonge au cœur des massacres. Je comprends bien sûr les euphémismes. Il est difficile d’exposer une telle violence, et parfois même, c’est nécessaire de la distiller pour la rendre supportable et lisible. Pourtant, il est parfois douloureux de lire des livres sur ce sujet qui semblent chercher à esquiver l’indescriptible. Ces récits qui, tout en laissant entendre, ne nomment pas explicitement la souffrance. Ces récits qui semblent tout expliquer par des métaphores ou des regards d’enfant, pour épargner le lecteur. Mais qu’en est-il des rescapés, qui portent en eux le cri de ce qu’ils ont vécu, en silence, dans l’indifférence internationale ? À quel point est-il encore possible de s’exprimer sans être contraint par la peur de choquer ? Jean-Félix de la ville baugé n’épargne rien, il va là où la douleur se trouve, et sa plume reflète cette volonté de témoigner, de ne rien cacher. Ce livre est un choix, un choix de lecture qui peut bouleverser. Et, face à cette vérité crue, il faut toute la justesse de l’auteur pour livrer un tel témoignage. Magnifique est pour moi un 5/5 pour son audace, son courage, et la profondeur de sa narration.