Réinventer l'amour - Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles : Le livre de Mona Chollet

Lire un essai de Mona Chollet à un moment de notre vie où on remet en question le couple et les rouages qui le sous tendent, c'est s'attaquer à des travaux certes complexes mais armé tout de même d'une bonne boite à outils. Mona Chollet va repenser, sans pour autant remettre en cause, l'amour et le couple hétérosexuel. Son discours est donc déculpabilisant et truffé de références à d'autres autrices, déjà toutes ajoutées à mon pense-bête. J'ai regretté parfois que certaines idées ne soient pas plus développées mais j'ai déjà acheté les essais des femmes venant appuyer son propos et je compte bien approfondir les sujets qui ont réveillés en moi une conscience féministe déjà présente mais qui ne demande qu'à être davantage nourrie.

Ce n'est pas le genre de livre que j'ai l'habitude de lire, c'est une grande première. Et pour une première, j'ai vraiment adoré ce livre. Le sujet dont portait le livre, les femmes et les relations qu'elles portes avec les hommes, est quelque chose qui m'intéresse beaucoup, c'est pour ça que le livre ma énormément plus. Les argumentations apportées sur les sujets abordés étaient accompagnées d'exemple de livres, de films, de série, de personnes. Cela m'a donné beaucoup de références à lire sur le sujet. J'ai appris de nombreuses choses et je sors de ce livre avec une vision différente des rapports entre hommes et femmes.

"Les conditions dans lesquelles la plupart des femmes ont été élevées dans leur plus tendre enfance, les discours qu'elles entendent ou qu'elles lisent, les images qu'elles voient, font qu'elles attendent qui les aimera" (Sonia Dayan-Herzbrun, Production du sentiment amoureux et travail des femmes). Leur vie ne peut être envisagée sans la présence de l'Autre, qui les complète, et plus encore, les définit : "De l'amour de cet homme miraculeux, elles attendent (toujours) leur identité, identité de personne et identité de femme" (idem). Tous se passe comme si le destin de la femme était d'être associée à l'Autre jusqu'à disparaître en lui. Paradoxalement, elle attend d'être élue, distinguée, mais à cette élection succédera l'anéantissement complet de tout son être. Les romances s'amusent de cette tension en rejouant sans cesse le scénario de la distinction, y compris chez des femmes en couple. Car l'image du "Grand Amour", du "Prince charmant" laissant peu à peu la place à la banalité du quotidien, seul reste le rêve d'une nouvelle élection qui comblerait des attentes toujours irréalistes. "Des études ethnographiques menées sur la littérature "à l'eau de rose" ont [ainsi] montré que ses lectrices l'appréciaient parce qu'elle leur offrait le fantasme de "devenir quelqu'un, par contraste avec leur vie quotidienne caractérisée par le déni de soi et par l'absorption dans le soin des autres"." (Wendy Langford, Revolutions of the Heart). C'est donc par la réalisation même de son fantasme que la femme y met fin. Là où les hommes sont encouragés à trouver leur accomplissement par eux-mêmes et pour eux-mêmes, nous sommes conditionnées à chercher l'accomplissement pour eux et par eux, comme si notre existence était sans intérêt et ne valait pas la peine de s'y consacrer pleinement. Mona Chollet évoque d'ailleurs cette prise de conscience en sa propre capacité à se satisfaire : "Je ne comprenais pas qu'il me revenait, à moi et à personne d'autre, d'apposer des touches de couleur sur tous les aspects de ma vie, des les penser, de les cultiver, d'en prendre soin, de les apprivoiser, de les aimer, au lieu d'attendre une sorte de sauveur improbable qui ferait magiquement disparaître la morne réalité ordinaire. Je ne comprenais pas qu'il m'incombait de me construire." Les notions d'âme-sœur, de moitié, de complétude, tendent en effet à entretenir l'idée qu'un être seul ne peut se suffire à lui-même. Nancy Huston s'en amuse : "Deux êtres qui s'aiment n'en font qu'un : lequel ?" (Journal de la création). Réinventer l'amour, se serait donc, d'abord, réinventer l'amour pour soi, l'amour de soi. "Pour que la Vie puisse croître, il faut que les hommes et les femmes restent des entités séparées." (Voltairine de Cleyre, Le Mariage est une mauvaise action). Ainsi, l'amour ne devrait pas nier les individus mais être un espace de sécurité et de libre expression de soi. C'est pourquoi les assignations liées au genre sont si mortifères : en enfermant l'individu dans une case trop petite pour lui / pour elle, elles bornent le plaisir et la créativité, et remplissent l'existence de pensées et de rituels qui la limitent. Joumana Haddad, au contraire, fait des deux passions relationnelles des moteurs de son existence : "J'ai deux sources d'énergie : la colère et l'amour. On pourrait croire qu'elles sont contradictoires, mais elles se complètent. Je puise dans l'une ce que je ne trouve pas dans l'autre." (L'écriture a allégé le poids de mon identité). Le rapport à l'autre, dès lors, n'est pas vécu comme une restriction mais comme un moyen de se réaliser. D'où l'importance d'entretenir des relations égalitaires, dans lesquelles chaque membre est libre de partir à tout moment. De fait, "Eva Illouz estime que, si les hommes ne peuvent pas s'impliquer dans leur sexualité, c'est parce qu'ils n'ont jamais dû l'utiliser comme une monnaie d'échange pour obtenir d'autres ressources, matérielles ou sociales." La domination qu'ils exercent rend les femmes muettes, "muettes par prudence, muettes par décence" (Dominique Aury alias Pauline Réage, O m'a dit). Le livre se termine cependant sur un message d'espoir : "Elles se taisaient. Eh bien, c'est fini. Elles vont parler, elles parlent." (idem). Par cette parole, non seulement les femmes dénoncent, mais elles conçoivent, aussi, un autre regard, d'autres fantasmes. Plus encore, cette ouverture des possibles profite à tous et toutes au sein du couple, de la famille, au travail et entre amis, ainsi que dans la relation à soi. Pour conclure, cette lecture plante les graines de la liberté : à nous de les cultiver !

Je rejoins d'autres avis, cet ouvrage m'a paru moins éclairant que les précédents essais de Mona Chollet. Plus précisément, j'ai trouvé les chapitres inégaux : celui sur les violences conjugales était aussi dur que captivant, mais le suivant, "Les gardiennes du temple", m'a semblé plutôt constitué de retours d'expérience personnelle que de sources sociologiques et d'exemples extérieurs. Le thème du dernier chapitre est prometteur et certains passages très intéressants, mais là aussi je suis restée sur ma faim.