Mort ou flic - A la recherche de Pierre F., policier sous l'Occupation : Le livre de Bénédicte Gilles, Gaëlle Sheehan

Bénédicte Gilles et Gaëlle Sheehan, deux étudiantes en étude de journalisme, décident de creuser dans l’histoire de l’arrière-grand-père de la première, policier avant la seconde guerre mondiale dans le récit, mort ou flic. Le secret familial a enveloppé l’existence de cet individu d’une énigme que Bénédicte, avec le soutien de Gaëlle, tente d’élucider. Leur enquête fut d’abord un podcast du même nom. Les éditions Belfond décident de demander aux journalistes de lui redonner vie à travers un format papier. Pierre Noël Fratani est né le 14 février 1907 à Vezzani Corse. Il est le père d’Alfida Marguerite, la grand-mère chérie de Bénédicte Gilles, née en 1940. Pierre était marié avec Raymonde. Ils s’étaient rencontrés avant la guerre, par petites annonces du Chasseur Français. Elle est ingénieure chimiste. Pierre s’était engagé dans la Marine puis était devenu flic. Il est mort en 1963, peu après Raymonde. Lorsque Bénédicte Gilles découvre qu’il a été incarcéré à Fresnes après la guerre, accusé d’intelligence avec l’ennemi sous le régime de Vichy, l’envie de savoir précisément les agissements de cet homme devint une obsession. Bénédicte Gilles, avec son amie Gaëlle Sheeran, partage ses impressions, ses espoirs, ses déceptions aussi, dans cette quête généalogique pour savoir si Pierre était un vrai collaborateur ou une sorte de juste du quotidien qui a utilisé sa fonction pour sauver ses compatriotes. Elles donnent vie à Pierre et son entourage en introduisant entre les chapitres leur récit romancé, répondant parfaitement aux sentiments de la jeune femme. Le suspense est entretenu tout au long du livre qui présente non seulement les procès-verbaux, les documents divers mais aussi la reproduction des textes législatifs ou officiels aidant à la compréhension. Ce qui fait de Mort ou Flic un récit historique étayé. Rare dans la littérature, un récit sur l’étude de la collaboration (ou de la résistance) des policiers sous le régime de Vichy permet d’en comprendre tous les aspects. Bénédicte Gilles et Gaëlle Sheehan savent parfaitement raconter toutes les dérives vécues dans leur enquête, les espoirs et les désillusions. Ce roman, mort ou flic, est à découvrir.

Par cet ouvrage, Bénédicte Gilles et Gaëlle Sheehan restituent l'enquête qu'elles ont mené sur Pierre F., bisaïeul de la première. En effet, depuis plusieurs générations un tabou familial pèse sur ce qu'a fait Pierre pendant la guerre, au regard des fonctions d'inspecteur de police qu'il exerçait. L'omerta était d'autant plus lourde que tous savaient qu'il avait fait l'objet d'une arrestation en 1945 et avait passé 1 an en maison d'arrêt, pour finalement être relâché. Mais à quel titre ? était ce vraiment une "erreur" judiciaire ? ou alors de réels motifs fondaient l'enquête ? Préférant le doute à la certitude de la culpabilité, chaque génération détournait le regard et, malgré les injonctions de la fille de Pierre, refusaient d'ouvrir le "dossier" qui restait enfermé dans un tiroir métallique, comme un totem maudit. Après bien des interrogations et des errements, Bénédicte, devenu journaliste entre temps, décide de rechercher ce qu'il en était réellement, c'est le début de l'enquête... Le ton choisi est celui d'un récit, légèrement romancé, articulé et nourri par les différentes pièces d'archives retrouvées au fil de l'enquête par les deux autrices. Ce parti pris est très pertinent, il permet de rendre vie à Pierre, et d'en restituer une "véritable existence" et non un simple nom fixé sur des copies carbones. D'autant que la fille de Pierre, Alfida, la grand-mère de Bénédicte a participé elle-même au fil des interview à décrire le personnage de Pierre tel qu'il était de son vivant. La structure choisie, une alternance de chapitre suivant tantôt Bénédicte et Gaëlle, tantôt les événements vécus par Pierre et sa femme Raymonde de 1940 à 1947, permet de dynamiser le récit. le lecteur est lui-même pris par le récit et se sent plongé dans l'enquête et pris dans un "suspens" qui le pousse à dévorer l'ouvrage de bout en bout. Sur le fond, sans en dévoiler l'aboutissement, l'ouvrage fait preuve à la fois de précision et de pédagogie, il donne un éclairage intéressant sur finalement quelque chose de méconnu du grand public, qu'est ce qu'était la police sous Vichy ? Son rôle au-delà de la seule rafle du Vél d'Hiv, comment elle été mise au pas par Vichy, puis à nouveau en 1944 par le GPRF, les conditions de son (absence d') épuration. Sur ce point l'ouvrage est d'autant plus intéressant qu'il s'accompagne d'une perspective critique des autrices, sur la culture de l'obéissance et le questionnement contemporain des violences policières. Car au-delà de la compréhension de la police sous le régime de Vichy, se pose la question de savoir si la police contemporaine réagirait de la même manière face à un nouveau gouvernement autoritaire. La police, comme la justice, est censée garantir l'état de droit. Qu'en est-il réellement si elle obéit aveuglement aux ordres ? les policiers sont-ils armés intellectuellement pour résister à des ordres antidémocratiques ? Enfin, un autre aspect de l'ouvrage, non des moindres, est la question du rapport qu'entretient chaque famille avec ses ancêtres et surtout avec les actes de ceux-ci. Doit-on se sentir coupable de ce qu'on fait nos ancêtres ? ou au contraire affronter la réalité et en devenir plus fort ? Bénédicte se livre ouvertement sur les questionnements et l'introspection que cette enquête a amené. L'autrice invite avant tout à l'humilité, reconnaissant elle-même ses penchants pour la recherche d'une absolution dans la vérité historique. Nous ne sommes pas responsables des agissements de nos aïeuls, mais non plus leurs juges légitimes, au mieux nous pouvons accepter de connaître les faits et l'époque qu'ils ont rencontré. Loin d'être un réquisitoire mené par des juges confortablement installés dans le monde contemporain, l'ouvrage fait montre d'une grande modestie des autrices, car chacun finalement aurait pu être un Pierre F, bien plus probablement d'ailleurs qu'un Jean Moulin. Une fois cela admis, la question posée est : comment l'éviter ? quelles sont mes ressources pour résister à mon échelle ? Là encore les éléments apportés par l'ouvrage sont pragmatiques et modestes, ils n'ont pas prétention à la vérité absolument, mais font acte d'appeler à la vigilance, car si l'histoire ne se répète pas, elle peut bégayer...