La Collectionneuse des mots oubliés : Le livre de Pip Williams

Après avoir fini le livre, je me dis que j'aurais dû commencer par les notes de l'auteur. Pourtant si elles sont à la fin c'est qu'il y a une raison ! Je n'aurais peut-être pas compris toutes les références, certes, mais je pense que ma lecture, mon imaginaire, sans oublier l'intensité des mots et de l'histoire auraient eu une autre portée. Je ne vais rien dévoiler mais avoir su quels personnages ou lieux ont existés avant la lecture m'aurait encore plus plu. Parce que oui, j'aime les romances et encore plus celles avec du vrai dedans ! Mais peut-être pas vous... L'histoire a un rythme doux avec des passages mouvementés. Et lire l'écosystème de création du dictionnaire anglais, des personnages et de tout ce que la période fin 1800 début 1900 implique : le mouvement des suffragettes, la guerre,... est très bien entremêlé. Le quotidien d'Esme y est relaté sans qu'un évènement ne prenne plus de place qu'un autre. Le tout a un très bel équilibre. Et après toutes ces lignes, je ne pouvais pas ne pas mentionner l'évolution - du moins de son début - de la place de la femme. Je crois pourtant que d'autres critiques en parleront mieux ! Pour ma part, cela m'a donné d'autres points de vue tant féminins que masculins donc c'était très enrichissant et cela alimente m'a réflexion sur le monde d'aujourd'hui. Sur ce sujet encore, l'autrice a trouvé l'équilibre pour en parler avec justesse. Les remerciements ont été rédigés avec des définitions, aussi je me permets de prendre l'idée et de terminer ma critique par une définition également : Oublier : Laisser quelque chose (quelque part), ne pas le prendre par manque d'attention.

Les mots et le langage sont un matériau, une pâte bien étrange quand on y réfléchit et je n'ai de cesse de m'en émerveiller surtout quand je me penche sur leur histoire, leur étymologie... Les séances centrées autour de l'étymologie sont d'ailleurs toujours les préférées de mes collégiens qui ont l'impression d'y découvrir des secrets bien gardés leur permettant de comprendre un peu mieux le monde qui les entoure. A bien des égards, les mots sont la pensée et le langage le pouvoir. A bien des égards aussi, il convient de distinguer ce qu'on dit de ce qu'on écrit. C'est en creux de cette réflexion (que je ne fais qu'ébaucher) que se situe le projet de la romancière britannique Pip Williams qui explique dans la postface de son beau roman "La collectionneuse de mots oubliés" s'être toujours demandé ce qui présidait à le venue d'un mot dans le dictionnaire et dans quelle mesure le travail de définition ne résultait pas d'un choix arbitraire. Que conserve une définition? Quelle part du mot nie t-elle? Des mots à la place dans la société de ceux qui les emploie, il n'y a qu'un pas aisé à franchir. On sait bien aujourd'hui que l'Histoire ne garde des traces que de ceux qui dominent, tout comme on sait qu'elle a silencié les femmes des siècles durant et les dictionnaires, aussi objectifs fussent ils, ne firent pas exception. En France, c'est par leur truchement que la peintresse, l'enlumineresse et la chevalière finirent par disparaître et cette omission du féminin dans le dictionnaire contribue plus qu'on ne le croit à l'omission du féminin dans le droit... Dire les choses, les nommer, c'est leur permettre d'exister. Outre-Manche, pas d'exception à la règle et la première mouture du célèbre dictionnaire d'Oxford na manqua pas de faire disparaître également de nombreux "mots de femmes" ou de termes "populaires"... C'est cette découverte faite par Esme, l'héroïne du roman, qui préside à l'intrigue de "La collectionneuse de mots oubliés" et qui donne un roman savoureux et passionnant quoique non exempt de quelques longueurs. Nous sommes donc à Oxford en 1886. Esme est la fille unique du professeur Nicoll. Ce dernier, veuf, est un érudit qui assiste depuis quelques années déjà l'éminent professeur Murray dans la composition de la première édition de l'"Oxford English Dictionnary" en compagnie de tout un aéropage de chercheurs, lexicographes et autres gratte-papiers. La fillette grandit au cœur de cet environnement studieux et n'aime rien tant que les heures passées en compagnie de son père au "sriptorium", centre névralgique du projet dans lequel les savants trient les mots et les définitions que leur envoient des bénévoles aussi lettrés que zélés. Au gré de ses heures buissonnières, il arrive que la fillette récupère au vol les fiches égarées de certains mots. C'est ainsi qu'elle découvre que "bonne à tout faire" n'aura pas sa place dans le dictionnaire, alors qu'elle sait bien elle pourtant qu'il en existe, des bonnes à tout faire... Et s'il ne s'agissait que d'un mot, d'un seul, mais non... Esme se rend compte par la suite que tous les mots sont loin d'être égaux et que son père et ses collègues écartent volontiers du dictionnaire de nombreux termes triviaux et ayant trait aux femmes. Pour cette enfant vive et pétillante, c'est injuste et elle décide donc de sauver ces mots mal-aimés en les "collectionnant" jusqu'à créer son propre dictionnaire des années durant, sauvant au passage la parole des femmes qui les prononcent. Ce que j'ai trouvé de particulièrement réussi dans le roman de Pip Williams, c'est la narration qui s'étend des années 1880 aux années 1920 et qui tout en suivant l'élaboration du dictionnaire d'Oxford s'attache aux pas d'une héroïne attachante et relativement moderne. Le roman historique et engagée se fait roman d'apprentissage et ces deux aspects se mêlent extrêmement bien, de manière très fluide, et ce grâce à certaines ellipses qui allègent le propos plutôt plantureux en ménageant un effet d'attente et de suspense que j'ai trouvé délectables. Il y a donc dans "La collectionneuse de mots oubliés" le dictionnaire d'Oxford et la question de la place et de l'effacement des femmes par le biais du langage mais il y a également des personnages attachants, bien construits et sans manichéisme que l'on a plaisir à suivre et voir évoluer au crépuscule de l'ère victorienne dont ils traversent tous les soubresauts, du combat des suffragettes à la Première Guerre Mondiale. Esme sera à la fois témoin et actrice de ces faits évènements qu'elle traversera en tant que femme, en tant qu'intellectuelle, en but parfois à la misogynie ordinaire de son temps. On se laisse happer par le récit de sa vie et celui des siens narré avec autant d'intelligence que de tendresse. Certains passages sont poignants, certains personnages aussi comme la vieille Mabel qui m'a émue autant qu'elle m'a amusée. J'ai par ailleurs beaucoup aimé la description du lien qui unit Esme à son père (les relations père-fille en littérature me cueillent toujours!) et son amitié avec Lizzy, qui permet aussi sans doute à l'autrice, outre de raconter une belle amitié féminine -ce que je trouve suffisamment rare pour être souligné- de rappeler que les femmes n'étaient pas toutes égales dans leurs inégalités. En somme, "La collectionneuse de mots oubliés" est une lecture parfaite, presque douillette, qui mêle l'Histoire et une certaine forme de féminisme au romanesque. Je l'ai dévoré avec plaisir, le cœur battant et la révolte au creux du ventre, même si je lui ai trouvé une ou deux longueurs parfois.

In this work of fiction, Pip Williams recounts the creation of the first Oxford English Dictionary, how words, mostly of poor women, were left out because they were deemed unimportant. We follow Esme, who collects these lost words and navigates a changing world with the fight for women's vote and the first world war. Despite a slow start, I really enjoyed this tale.

La collectionneuse de mots oubliés de Pip Williams est une belle découverte. Ce livre, inspiré de faits historiques, commence à la fin du XIXe et se termine entre les deux guerres mondiales. On suit l’héroïne Esme (on lui suit vraiment le l’histoire est écrite à la 1ere personne) d’abord jeune, avec son père qui participe à l’élaboration du 1er dictionnaire anglais (l’Oxford English Dictionary), puis adulte lorsqu’elle continue à participer à ce projet qui s’est tenu sur des dizaines d’années. Esme se rend compte que le choix des mots qui figureront dans ce dictionnaire est partial. Les rédacteurs sont des hommes éduqués. Ils ne connaissent pas et ne veulent pas s’intéresser aux mots des pauvres, des minorités et des femmes. Ces mots-là sont donc oubliés. Esme va alors collectionner ses mots pour créer son propre dictionnaire, celui des mots oubliés. On découvre l’importance des mots et de leur utilisation, la richesse du vocabulaire, la nécessité d’écrire les mots et de ne pas seulement les dire afin de ne pas les perdre. J’ai beaucoup aimé ce roman féministe qui se déroule dans une époque marquée par la montée en puissance des suffragettes et la 1ere guerre mondiale qui a profondément changé la place des femmes dans la société. Esme est attachante et elle affronte de dures épreuves avec beaucoup de courage. Je ne savais pas comment on procédait à l’époque pour créer un dictionnaire avec un système de fiches, un classement très précis, des correspondants, des publications par fascicule… Cela m’a vraiment intéressée. Je conseille ce livre et j’ai dans ma PAL la 2eme livre de l’auteur La Relieuse d’Oxford…