Mrs Caliban : Le livre de Rachel Ingalls

Attirée par la couverture et le bandeau « Pépite vintage », je découvre un peu tard ce roman paru en 1982 (devenu culte) de Rachel Ingalls, dont les premières pages nous rappellent La Forme de l’eau, de Guillermo del Toro. D’autres références nous assaillent, L'Étrange Créature du lac noir de Jack Arnold, qui était sensible au charme féminin, les grenouilles des contes de fées qui se transforment en Princes Charmants, les Belle et les Bêtes, et toutes les unions contre-nature que la morale réprouve. Dorothy est une femme perturbée par la perte de son enfant, puis par la mort de son chien. Son couple s’est désintégré, cette solitude à deux l’a brisée, mais elle continue d’être la bonne épouse captive dans un beau quartier, ensevelie sous les commodités et les accessoires que lui offre la société de consommation. Mrs Caliban n’est pas esclave du mage Prospero mais de sa condition de femme au foyer de la middle class américaine. Soudain, Dorothy se met à entendre des choses à la radio. Et puis un jour la desperate housewife se retrouve nez à nez avec une mystérieuse créature aquatique échappée d’un laboratoire. Larry, c’est son nom, est un être amphibie de belle allure. Dorothy le cache dans sa maison,, lui explique ou tente de lui expliquer le fonctionnement de la société dans laquelle elle vit, retrouve le désir, puis le plaisir dans ses bras verts et musclés. C’est au tour du mari de n’être plus qu’un figurant domestique. La solitude de Dorothy, sa détresse dissimulée sous une bonne couche d’automatismes, son manque cruel d’amour et d’affection, accentué par l’indifférence et les infidélités d’un mari égoïste disparaissent face à la Créature dont ni l’apparition, ni l’aspect ne l’effraient. Leurs respectives souffrances passées agissent comme un détonateur. Ce récit onirique (ou pas) d’une émancipation m’a beaucoup touchée, sans doute parce que Rachel Ingalls dépeint avec délicatesse une certaine détresse féminine, et qu’elle navigue entre le pulp, la science-fiction, le conte de fées sans fée mais avec un batracien, l’Inconscient, le féminisme.. Il y a mille façon de raconter l’éveil d’une femme, celle-ci est sans doute l’une des plus singulières.