Des diables et des saints : Le livre de Jean-Baptiste Andrea, Guillaume Marquet

Parce que Jo joue du piano dans un lieu public, une question lui est posée : pourquoi ? Alors, Jo nous emmène dans son enfance meurtrie, ballottée entre l’horreur et la fraternité, entre l’amour et la haine. Un récit bouleversant, touchant, qui nous fait rire autant qu’il nous met en colère. L’auteur, avec une grande justesse des mots et un véritable talent de narrateur, nous livre une histoire qu’on lit par respect, mais qui nous serre le cœur. Il y a un certain soulagement à la fin, parce que Jo est devenu un homme, mais ce qu’il a vécu reste ancré en lui, dans ses tripes, et c’est tout cela qu’il déverse quand il joue.

Quelle claque, encore ! Quelle jolie écriture, fine, tranchante, acerbe et juste. Comme si la plume de l'auteur avait été aiguisée. Le narrateur est pianiste. Enfin, il joue du piano sur les pianos libres d'accès, dans les gares et les aéroports. Un jour, un homme (mais pas le premier) lui demande pourquoi il joue ici alors qu'il a un talent qui dépasse tout. Il attend. Et il se met à raconter son histoire. Une histoire de diables et de saints. Devenu orphelin à la suite d'un accident d'avion qui a coûté la vie à ses parents et sa détestable soeur, il se retrouve aux "Confins", un orphelinat tenu par un prêtre, perché dans les montagnes pyrénéennes. Avec ses "amis" Souzix, Fouine et Sinatra (plutôt ses copains de prison) et son fidèle soutien, Momo l'autiste et épileptique, il tente plus ou moins d'échapper aux journées trop longues, aux sévices du surveillant et du Père. Un jour, il voit le piano et se met à jouer. Tellement bien que le bienfaiteur de l'orphelinat, qui en a eu vent, l'embauche pour donner des cours de piano à sa fille, Rose. Au départ mu par une haine sans limites, il découvre avec elle un autre monde. Si on est sensible à la violence en général, mieux vaut s'abstenir, il y en a beaucoup dans cette lecture, même si ce n'est pas la thématique principale au départ. J'en ai parfois eu la nausée de ces horreurs subies par les enfants. En revanche, l'écriture, le fil conducteur, l'humanité du récit sont saisissantes. Du grand art.

Joe joue du Beethoven dans les gares et les aéroports. Inlassablement. Il ne se produit pas sur scène, il n’enregistre pas de disques. Il joue dans les lieux de passage, là où les existences se croisent sans s’attarder. Il attend. Un visage, peut-être. Une promesse. Sous ses doigts, c’est le récit de toute une vie qui s’élève. Ce roman commence dans un orphelinat sinistre au nom évocateur : «#8201;Les Confins#8201;». Un lieu de douleur et de silence, peuplé de personnages impitoyables, qui profitent de leur pouvoir sur les orphelins. Les enfants tentent de vivre, de rêver, d’aimer malgré tout. «#8201;Sans passé, sans avenir, sans avant et sans après, un orphelin est une mélodie à une note. Et une mélodie à une note, ça n’existe pas.#8201;» Ce roman est une échappée lyrique entre la noirceur d’un quotidien marqué par la maltraitance et les éclats d’humanité qui en jaillissent : une bande d’amis, une émission de radio, un vieux professeur de piano, et surtout… Rose. Il y a dans ce texte une pudeur admirable : jamais l’auteur ne s’appesantit, jamais il ne cherche les larmes faciles. Il donne au contraire toute leur densité aux émotions, avec des personnages profondément attachants, porteurs d’une vérité qui dépasse la fiction. «#8201;Il suffit de deux mots, “mieux ici”, pour me faire comprendre que nous avions de la chance. Qu’il y avait pire que d’être orphelin des ses parents, c’était d’être orphelin de soi.#8201;» Mais au-delà de l’histoire, c’est la langue de Jean-Baptiste Andrea qui enchante : fluide, élégante, ciselée, elle épouse le rythme des souvenirs, tantôt précipité, tantôt suspendu. Une œuvre dans laquelle la musique devient une manière d’habiter le monde, un refuge, une prière, un art salvateur. Comme dans La Tempête de Shakespeare, dans laquelle l’île devient théâtre de rédemption, Des diables et des saints fait de l’enfance un lieu d’initiation, de perte et de renaissance. Il y a aussi du Petit Prince chez Joe : la solitude, la fidélité à un amour unique, l’espoir qu’un jour une rose descendra d’un train ou d’un avion. «#8201;Le rythme. C’est là que je l’entendis. Ça commença par le rire de Danny, qui avait fait machine arrière pour prendre Souzix sur son dos, un effort de légende urbaine, l’effort de ces mères qui soulèvent la voiture sous laquelle leur bébé est coincé. Ensuite, le cœur de Rose qui battait près du mien, un oisillon en armure Dior. Et puis le vent, et puis l’espace immense entre les notes, et puis la joie de Souzix, qui pour la première fois de sa vie ne voyait plus ni murs ni grillages. Une joie qui fusait à grands traits, dont certains s’égaraient et faisaient parfois exploser les avions, tout était lié, tout était là à portée d’oreille. Le rythme, la chose qui tenait tout, nos vies debout. Et je sus que cette fois, je ne l’oublierai pas.#8201;» #127932; À lire, à offrir, à relire. Comme un adagio. Comme un chant de résistance douce. Et à écouter ! Une lecture qui sublime le texte ! Bravo à Guillaume Marquet !

Ayant adoré "Veiller sur elle", j'ai eu envie de lire un autre livre de Jean-Baptiste Andréa et je n'ai pas été déçue. C'est le coeur chaviré que je referme ce roman et quitte ses personnages. Joseph, dit Joe, est un adolescent gâté d'une famille aisée, qui ne comprend pas bien ce qu'entend par rythme son vieux professeur de piano, un virtuose qui a survécu à la Shoah. La mort brutale de ses parents et de sa petite soeur dans un accident d'avion, suivie de longs mois dans un orphelinat religieux au fin fond des Pyrénées, va lui permettre de le découvrir au terme d'un chemin de croix. Joe nous nous happe dès les premiers mots de ce roman à l'écriture envoûtante en nous interpelant et nous le suivons dans sa descente aux enfers, à l'affût de ce mystère qui imprègne sa musique. Normalement j'aurais dû détester cette histoire, en résonance troublante avec l'actualité de Betharram. Les sévices et la cruauté sur les enfants me révulsent et je n'ai surtout pas envie d'en lire le récit quand je me plonge dans un livre. Mais Jean-Baptiste Andréa réussit à en rendre la lecture très fluide, sans rien occulter pour autant des conditions de survie sinistres des orphelins. C'est que de cette noirceur sourd de l'espoir, comme une lumière au bout du tunnel. On sait que Joe va devenir ce musicien virtuose qui hypnotise les halls de gare ou d'aéroport dans l'attente de cette personne mystérieuse qu'on brûle de découvrir, mais on s'attache aussi à Souzix, Fouine, Momo, Dany, Edison, qu'on voudrait arracher aux Confins et aux griffes de Grenouille et de Sénac. Si le premier est une véritable brute, la componction de l'abbé lz rend encore pire. Il me rappelle la terrifiante Madame Mac'Miche de la Comtesse de Ségur par son art de justifier les pires châtiments en s'abritant derrière un discours pseudo-éducatif religieux et bienveillant. Mais l'auteur ne s'appesantît pas sur ces personnages repoussants, que la maturité pleine d'humanité de son narrateur sauve de la haine. Rythmé par les allusions aux compositeurs, Beethoven en premier lieu, et à certaines oeuvres, son discours est aussi un magnifique hommage à la musique, dont Joe ressent le rythme comme Mimo percevait la sculpture dans le marbre, pour en révéler la quintessence