Et devant moi, le monde : Le livre de Joyce Maynard

En 1972, Joyce Maynard prend sa plume. Sa fille traverse l’adolescence, elle s’apprête à quitter la maison, à faire ses premiers pas dans le monde. Ce jalon est l’élément déclencheur de l’écriture autobiographique de Joyce Maynard. De son enfance entourée de parents aimant et fantasques jusqu’à son divorce, l’autrice conte une vie américaine, dans tout ce que ce terme peut contenir à la fois de singulier et d’universel. Le cœur de son récit révèle les mois qu’elle a passé en compagnie de Jerry Salinger, l’auteur de l’Attrape-Cœur, de trente-cinq ans son aîné. Il contacte la jeune fille de 18 ans, déjà écrivaine dans les colonnes du New York Times et engage une correspondance intense, jusqu’à leur rencontre, dans sa propriété isolée. A l’époque, personne ne s’émeut d’une telle relation, pas même l’entourage de la jeune étudiante, pourtant mineure. L’emprise de l’écrivain est totale : il s’affiche comme un gourou des lettres, mène une existence minutée d’ascète, obsédé par lui-même, sorte d’ogre lettré et grisonnant, puisant ses ressources, agacé et avide, dans la fraîcheur de Joyce Maynard. Il n’est pas surprenant que l’ouvrage ait suscité l’indignation du lectorat de Salinger, promu au rang d’icone littéraire. Joyce Maynard maîtrise parfaitement son récit, clinique, factuel, mais également bouleversant. Figure bafouée, meurtrie dans son corps et dans son esprit, elle écrit la tête haute, avec une dignité exemplaire. Ce texte, absolument magnifique, est terrible de modernité et de lucidité : les jeunes femmes, qui ont le droit de tout faire mais ne peuvent rien accomplir, poursuivent leur douloureux combat contre l’invisibilisation de leur parole et de leurs désirs.