À l'enfant que je n'aurai pas : Le livre de Linda Le

Quand tout a été dit sans qu’il soit possible de tourner la page, écrire à l’autre devient la seule issue. Mais passer à l’acte est risqué. Ainsi, après avoir rédigé sa « Lettre au père« , Kafka avait préféré la ranger dans un tiroir. Ecrire une lettre, une seule, c’est s’offrir la point final, s’affranchir d’une vieille histoire. La collection « Les Affranchis » fait donc cette demande à ses auteurs : « Ecrivez la lettre que vous n’avez jamais écrite. »… C’est ainsi qu’est présentée cette collection en préambule. J’avais déjà lu « L’autre fille » dans cette collection, une lettre d’Annie Ernaux à une soeur dont elle a ignoré longtemps l’existence. J’avais beaucoup aimé ce principe, j’ai donc emporté l’ouvrage que je vous présente aujourd’hui avec plaisir lorsque je l’ai trouvé en boîte à livres… Linda Lê a décidé d’écrire à l’enfant qu’elle n’aura pas. Elle lui explique pourquoi, malgré l’insistance de S., son ancien compagnon, de fonder une famille, cette certitude est ancrée en elle qu’elle n’est pas faite pour ce rôle de mère. Certainement, la personnalité de sa propre mère y est pour beaucoup. Elle l’appelle d’ailleurs « Big Mother ». Il y a la peur de reproduire l’éducation qu’elle a reçu, quand ses soeurs sont persuadées de réussir à conjurer le sort. Il y a la certitude qu’elle serait une mère exclusive, abusive, qu’elle aurait eu des enfants dont sa mère aurait rougi, une thésarde ou un beatnik au mieux, elle tellement en marge et préoccupée de littérature, incapable de trouver un mari… Je suis très sensible à ce genre de récits féminins, à l’expression du choix en matière de maternité. J’ai donc aimé ici l’écriture sincère de Linda Lê, qui donne malgré tout une vraie place à cet enfant qu’elle n’aura jamais et lui crée en quelque sorte au moins une vie de papier. Cette lecture m’a donné envie de lire les autres titres de cette collection. J’espère en trouver d’autres à l’occasion.