Darling : Le livre de Jean Teulé

Il y a des années, je suis tombée sur le film “Darling” où l’héroïne Catherine est interprétée par Marina Foïs. J’ai pour vague souvenir des scènes complétement rocambolesques. Une femme perdue et torturée. Alors lorsque j’ai trouvé cette vieille version de l’œuvre entre deux classiques chez le bookiniste, j’ai vu ça comme un signe. J’ai donc lu mon premier Teulé. J’ai lu le récit que Teulé fait de sa rencontre avec Catherine, une femme qui n’a eu d’autres choix que de se battre toute sa vie. Dès son plus jeune âge, elle se sait non désirée. Elle aide ses parents à la ferme et se promet de ne jamais épouser un paysan. Elle habite une petite maison proche de la nationale et elle court tous les week-end dans son mini short rouge pour tenter d’attirer un routier. Un routier, ça voyage, ça se déplace, ça lui offrira surement une porte de sortie. Et quelle sortie ! Ce roman, entre retranscription de discussions entre l’auteur et notre Darling, et faits romancés, c’est la descente aux enfers d’une femme dont personne ne s’est jamais soucié. Jean Teulé n’a d’autres choix que d’utiliser des propos crus pour s’approprier au mieux l’histoire de son interlocutrice. Certains passages pourrait faire sourire jusqu’à ce qu’ils paraissent si vrais qu’ils nous effraient voir nous dégoûtent. L’histoire de Darling, c’est celle d’une femme qui voulait seulement s’échapper de son milieu social, d’une femme qui voulait être aimée, d’une femme qui aurait pu construire une famille différente de celle qu’elle a eu, mais c’est surtout l’ironie de la vie, la multiplication des mauvais choix, et le nombre trop important de cailloux dans la chaussure. C’est une histoire triste, difficilement tolérable. Pourtant, ce livre a quelque chose de lumineux (quand on creuse vraiment…). Dans la naïveté de notre Catherine qui ne perd pas espoir. C’est un livre unique. Et à son époque c’était quelque chose. Il donnait déjà la parole à toutes ces femmes qui ont besoin d’aide et dont le quotidien est inhumain.

Je n'en reviens pas du nombre de lecteurs ayant pu prendre cette fausse « interview-biographie » pour argent comptant ! On sait bien que Teulé brille par un certain talent de narrateur-prestidigitateur , mais ici, pas de "tromperie" possible: il nous donne dès le départ assez d'indices pour dévoiler son récit comme fictif, pour prévenir qu'il se situe dans une mise en scène décalée d'un possible récit de vie . (Les dates du départ en font partie. Je reconnais que certains indices ne sont décryptables que par des gens de ma génération : par exemple le fait que l'ado se mette à acheter la revue « âge tendre et tête de bois » largement après sa disparition du marché en 74. Ok. Mais qui pourrait croire que dans la France des années 70 un instituteur n'accepterait une élève dans sa classe qu'à la condition qu'elle vienne faire le ménage chez lui ???; qu'une boulangère embaucherait une gamine pour servir les clients avant l'heure de l'école - lorsque chacun savait que même les « menus travaux » étaient interdits aux moins de 14 ans ? Etc. ) Bien sûr, les enfants maltraités, les femmes battues, c'est une triste réalité sans âge chacun le sait. Je ne doute pas de la compassion réelle de l'auteur pour les situations dramatiques dont il pouvait avoir connaissance. Mais il fait clairement le choix du spectacle granquignol, d'un hyperréalisme « fellinien » plein d'outrances et de « gore », mettant ainsi une distance salutaire entre les situations et le lecteur. Personnellement je n'apprécie pas trop ces manipulations de la réalité fidèles à l'époque où Teulé bossait à « l'écho des savanes » (les années où les mauvaises langues qualifiaient la revue de " foutoir psychanalytico-intellectuel de complexés de la création en quête d'alibis culturels » ) mais dans le genre je reconnais à Jean Teulé un talent réel. Mais bien plus un talent de comique que de prétendu donneur de « leçons de vie » mode Maupassant ...

En cours de lecture, page 150/240, je viens de finir un chapitre et repose le livre. Mon conjoint me demande : « Il est bien, ton livre ? » « Non, vivement que j’en finisse, j’ai l’impression de lire Bienvenue chez les ploucs j’en peux plus. » « Ah bon, ça parle de quoi ? » Je lui explique comment l’auteur, pendant la 1ère moitié du livre, raconte la vie de Catherine Nicolle, née dans la campagne profonde, jamais aimée par ses parents, qui grandit parmi des paysans qu’elle souhaite fuir à tout prix. C’est une biographie, apparemment, mais une biographie romancée alors on ne sait jamais où est la frontière entre réalité et fiction. Le récit est entrecoupé d’une interview a priori fictive entre l’auteur et cette femme. Malheureusement, la vie des ploucs alcooliques (« Il en faut, de l’eau, pour les bêtes, mais pas trop dans nos verres, hein, vindiou ! », « T’es-t’y donc encore bien pleine, la Suzanne ! Fi d’garce, tu ne penses donc qu’à baiser, Georges ! », « Bois une bolée de cidre, ça donnera du goût à ton lait ! ») ne m’intéresse pas le moins du monde et me fatigue très vite. Là-dessus s’ajoute une protagoniste principale qui, certes, n’a pas la vie la plus agréable du monde, mais qui se montre incapable de gratitude envers les personnes qui lui montrent de la sympathie, de l’intérêt ou de l’affection et qui agit de manière pas tout à fait normale (courir après des camions sur une nationale et mettre chaque mois une tâche du sang de ses règles sur les murs de sa chambre en indiquant la date, même dans Strip-tease ce serait chaud…). Je suis donc certainement un robot sans cœur, mais je suis absolument incapable de la moindre empathie pour les personnages du récit. Je suis également très gênée par le ton employé par l’auteur, l’humour vulgaire distillé au fil du récit qui me semble inapproprié et auquel je n’adhère pas du tout. Néanmoins, là où ma lecture s’est s’arrêtée, à cette fameuse p150, je viens de vivre la scène du mariage. Pour cette scène, je ne peux que nuancer mon propos et admettre le tour de force de l’auteur. La retranscription du pathétique de cette journée est parfaite, c’est cringe à l’extrême, on ressent et on vit la gêne des invités et la profonde tristesse de la mariée. La colère naît, et pour la 1ère fois depuis le début du roman je ressens une pointe de compassion pour Catherine. Après le mariage, 5 ou 6 pages suffisent pour que l’enfer commence. Le livre devient à la fois de plus en plus dur à lire et impossible à lâcher. La violence est extrême, on se dit que cette-fois Catherine a connu le pire, mais non la violence gagne en intensité, encore, et encore, et encore… C’est intolérable, la colère est devenue rage. Jusqu’à la dernière page, l’horreur ne fera que s’amplifier. Et par un talent inouï, à l’aide de sa narration mi-récit mi-interview fictive, M. Jean Teulé parvient à placer des traits d’humour au milieu de ce déchaînement de violence et de malheur. Un humour beaucoup plus fin que dans la 1ère partie du récit, qui fait mouche et nous fait passer du rire au larme à chaque page tournée. On termine le livre la rage au ventre et les larmes aux yeux, souhaitant de tout cœur mais sans y croire que les faits décrits dans la 2ème partie du roman soient + romancés que réels. En conclusion, si comme moi vous n’accrochez pas au début du livre, continuez quand même. Promis, ça vaut le coup et c’est important.