Du côté de chez Swann : Le livre de Marcel Proust

Si certains auteurs peuvent parfois être lourds sur les détails, Marcel Proust, lui, fait plutôt dans la précision, la justesse du mot, le sens de la nuance, et avec sa sensibilité à fleur de peau et ses tournures de très longues phrases parfois alambiquées mais toujours d'une grande élégance et qui coulent limpides, nous fait découvrir son univers de la petite bourgeoisie et de ses frivolités, et de l'aristocratie de la fin du 19ème siècle. Alors oui, il peut y avoir quelques longueurs, mais devant une telle écriture, on ne peut s'empêcher d'avoir parfois un petit sourire en coin, admiratif de cette virtuosité des mots, et de cette petite musique parfaitement rythmée.

Oui, la fameuse madeleine est là, mais elle n’est qu’une porte d’entrée vers un univers d’une richesse inouïe. On s’enivre des descriptions de Combray, on s’immerge dans l’analyse obsessionnelle de l’amour avec l’histoire tragiquement banale de Swann et Odette, et on ressort de cette lecture avec l’impression d’avoir effleuré quelque chose d’essentiel sur la nature du désir et du souvenir. Tout est là : mélancolie, profondeur, beauté. Magistral.

Ce premier volume de "À la recherche du temps perdu" est divisé en trois parties. La première, "Combray", où le narrateur raconte une partie de son enfance et son besoin d'avoir sa mère toute proche. On suit les amours compliquées de Charles Swann dans la seconde partie, "Un amour de Swann", personnage déjà croisé dans Combray. La troisième partie, Noms de pays : le nom, raconte les envies de voyage du jeune narrateur et ses jeux dans les jardins des Champs-Élysées avec Gilberte, la fille de Swann. Ce premier volume est celui qui commence par l'incipit le plus connu de la littérature française "Longtemps, je me suis couché de bonne heure" et qui contient la scène de la madeleine, cette madeleine de Proust qui nous fait revenir un événement en mémoire... Cela laisse à penser que tout Proust est contenu dans ce premier volume et que peu de gens ont lu la suite. Ce qui serait compréhensible. J'ai trouvé l'écriture magnifique, mais elle met un peu en apnée, car il y a peu de ponctuation et presque pas de paragraphes et les compléments de verbe et autres sont enchâssés les uns dans les autres comme des poupées russes, créant des phrases très longues. Très belle prose, mais à lire dans un endroit calme.

Longtemps j'ai craint de gravir ce que l'on m'avait dépeint comme une montagne. Longtemps j'ai tenu ce cher Marcel à distance, le jaugeant de loin. Quel temps ai-je perdu (ou pas…) Faut-il avoir le coeur et l'âme propice pour accueillir cette lecture ? Car ce roman est une rencontre et une expérience, maintenant je le comprends. Une oeuvre qui se savoure et dont il ne faut rien attendre pour qu'elle vous donne tout. C'est une douceur, une promenade. Les mots et les phrases sont comme autant de petites barques sur lesquelles on se laisse naviguer sans vraiment savoir où l'on va amarrer, mais cela importe peu car ce qui compte ici - et ce n'est pas galvaudé de le dire - c'est le voyage et non la destination. Ce fut une sorte de parenthèse enchantée. Ensoleillée. Douce. Pour la lire j'ai pris mon temps - n'est-ce pas ce que Marcel nous apprend ? -, comme emmitouflée dans la douceur d'un cocon familier. J'ai arpenté les rues de Combray, déjeuné dans le jardin de tante Léonie, entendu le son familier du clocher, et emprunté ce fameux sentier passant du côté de chez Swann. Puis j'ai rejoint ce dernier à Paris, que de boulevards traversés, que de dîners engloutis, que de salons courus, que de mondanités entendus, que de conversations écumées, avant de sentir avec la force étreignante d'une cisaille les affres de l'amour et les douleurs brûlantes de la jalousie de Swann comme si c'était les miennes. Enfin on s'arrête aux Champs, plein d'échos des aventures enfantines avant de doucement toucher du doigt la mélancolie des souvenirs et voir en sortir d'un coup la portée enfin révélée de ces mots : à la recherche du temps perdu. Quel voyage. Longtemps je garderai en moi le souvenir de cette lecture. Merci Marcel.