La Dernière Nuit du Raïs : Le livre de Yasmina Khadra

Je ne sais pas trop quoi penser de ce roman, et ce pour plusieurs raisons. Yasmina Khadra plonge son lecteur dans la dernière nuit de Mouammar Kadhafi, du coucher du soleil, vers la fin inexorable, le dénouement final, au petit matin. Je crois que ce qui m'a d'abord dérange provient de moi : je n'ai pas assez de connaissance sur les faits et l'histoire du dirigeant et dictateur libyens... On nous parle des autres dirigeants du monde arabe, des Occidentaux, par-ci, par-là, sont relatés les relations diplomatiques que la Libye entretient avec ses voisins et ses pas si voisins... mais malheureusement mes connaissances sont assez limitées et ne m'ont pas permis de mettre en perspective ce que l'auteur fait dire Kadhafi en tant que vraie personne à ce qui s'est réellement passé (ou du moins ce qu'on nous présente comme était la réalité - je me doute que les secrets défenses, les accords et ententes secrètes sont monnaie courant et pas à la disposition du grand public). Tout ça pour dire que ce roman ne retrace pas la vie du Mouammar Kadhafi : il s'agit d'une perspective de lui-même au travers des yeux d'un auteur, et si vous voulez en savoir plus sur son ascension au pouvoir, sa manière de "diriger" un pays, les relations avec les autres dirigeants, vous n'en verrez que des aperçus succincts. On le perçoit comme un homme mégalomaniaque qui a précipité sa propre chute, sujet aux sautes d'humeur, qui regrette de ne pas s'être inspiré plutôt de grands dirigeants comme Staline par ex ("grand" tout est relatif...). Tous ces éléments ont fait que j'ai été mal à l'aise pendant ma lecture pour ne pas arriver à faire la part des choses. (Ce n'est pas quelque chose que j'avais ressenti dans La Part de l'Autre de Eric-Emmanuel Schmitt qui réussit l'exercice de retracer la vie d'Hitler : mais dans ma mémoire, il y a toute une partie purement fictionnelle sur ce qui aurait pu se passer, et l'autre partie avec un ressenti beaucoup plus biographique et permettait au lecteur de comprendre comment le monde en était arrivé à la 2nde Guerre Mondiale.) Par contre, j'ai trouvé que la lecture et l'écriture fluides et aisées, peu de choses à faire remonter de ce côté-là

Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai toujours peur avant de débuter un roman d’un auteur que je n’ai jamais lu (même ceux que je connais d’ailleurs). Alors, quand, en plus, cet auteur a une réputation incroyable comme Yasmina Khadra, j’ai eu doublement la frousse. La peur de ne pas aimer, la peur de ses mots, la peur de la forme… Aucune explication rationnelle à cette peur qui me prend les tripes au moment d’ouvrir un livre, mais à chaque fois, elle disparait comme par magie dès la lecture du premier paragraphe, je plonge et je suis bien. C’est exactement ce que j’ai vécu, j’ai ouvert ce roman, j’ai lu les premiers paragraphes et je me suis dit que j’allais vivre un moment extraordinaire et pourtant me dire ça en lisant le mot Kadhafi, c’était tout bonnement surréaliste. L’auteur a réussi ce pari fou de se mettre dans la tête de ce dictateur mégalo et à le rendre « presque » humain, je dis presque car on n’oublie pas ce qu’il est, à aucun moment. L’auteur nous montre avec toute la tolérance possible ce qu’il imagine du pourquoi et du comment, la folie, la compréhension, l’acceptation peut être même? Mais jamais on n’oublie malgré tout. C’est un roman très critique et ces critiques viennent avec les proches du dictateur, à l’heure où tout le monde sait qu’ils ne verront pas la journée d’après. Ce court roman est d’une puissance magistrale, il n’a pas fait un pli, je l’ai pris, je l’ai posé, il était terminé, j’ai été envoutée par l’écriture, la justesse du ton, j’ai vu. Cette lecture va me poursuivre pendant longtemps, c’est une certitude.

C'est le récit d'un homme sur le déclin, d'un tyran qui ne veut pas lâcher prise, qui rabroue les soutiens qui l'entourent encore dans ses dernières heures, qui va jusqu'à se considérer comme un Elu de Dieu, d'un homme qui dit s'être fait lui-même et ne devoir qu'à lui ce qu'il est pour, plus tard, se sentir le pantin de l'Histoire ou de "quelqu'un là-haut". Yasmina Khadra utilise alors un style à la mesure de la mégalomanie de son personnage, qui contraste avec les passages plus introspectifs. En effet entre deux chapitres, Khadafi se livre à une introspection, mais n'exprime aucun regret bien au contraire, repense à son enfance, sa vie dans l'armée, son accession au pouvoir, son rapport avec l'Occident. La figure de Van Gogh apparaît régulièrement dans le livre, il hante les rêves de Khadafi. J'imagine que Khadra l'a introduite pour évoquer la folie de son personnage. Dans ce roman ayant pour personnage principal quelqu'un d'aussi antipathique et odieux - ni glorifié ni accablé - au-delà de Khadafi, c'est finalement l'expérience de la plongée dans l'esprit d'un tyran au moment de sa chute qui nous est livré.

Se lit trés bien, c'est bien écrit. On se sent dans la peau et la tête du guide. J'ai appris des choses. Ça m'a une nouvelle fois fait réflechir aux printemps arabes, il y encore tant à dire et lire sur ce sujet ! Je recommande cette lecture passionante.