Le Maître de Ballantrae : Le livre de Robert Louis Stevenson

Publié en 1889, Le Maître de Ballantrae (The Master of Ballantrae) est avant tout un drame familial où Stevenson excelle dans la psychologie de ses personnages. L’histoire se déroule en Écosse au XVIII#7497; siècle et met en scène la rivalité entre deux frères de la noble famille Durie : James, l’aîné, charismatique mais cynique et manipulateur, et Henry, le cadet, honnête et droit. Lorsque la rébellion jacobite éclate en 1745, la famille décide qu’un des fils doit s’engager du côté du prince Charles Édouard Stuart (catholique), tandis que l’autre restera fidèle au roi George II afin de préserver leurs terres. James, le Maître de Ballantrae, part rejoindre les Jacobites, tandis qu’Henry reste à la maison. Après la défaite des Jacobites à Culloden, James est présumé mort, mais il survit et mène une existence aventureuse à travers l’Europe et l’Amérique du Nord. Il devient un homme impitoyable et rusé, multipliant les trahisons et les complots, tandis qu’Henry lutte pour préserver l’honneur et la stabilité de la famille. Cependant, James revient sans cesse hanter la vie de son frère, semant la discorde et la destruction autour de lui. Le récit, raconté par Mackellar, le fidèle intendant de la famille, met en lumière l’opposition entre le bien et le mal, la fatalité et la jalousie qui rongent les deux frères. Leur affrontement tragique les conduit inexorablement à un dénouement fatal. J’ai été tout d’abord pris par cette opposition entre les deux frères, l’un incarnant le charisme maléfique, l’autre la vertu tourmentée. Si la figure du Maître de Ballantrae est un antihéros romantique, à l’inverse, Henry apparaît comme un homme accablé par le destin, personnage lui aussi difficile à apprécier. L’intrigue est donc captivante mais aussi inégale: le roman souffre de quelques longueurs, notamment dans les passages situés en Amérique du Nord, où l'action perd un peu de son intensité dramatique à mon sens. Le style de Stevenson est très soigné, rendant compte parfaitement d’une ambiance sombre notamment pour la partie écossaise. J’ai été plus gêné par l’usage de Mackellar, le régisseur, observateur impliqué et tourmenté, qui s’il procure de la subjectivité au récit, impose une distanciation trop grande par rapport aux événements et dialogues. Je n’ai pas lu Le Maître de Ballantrae comme un roman d’aventures, malgré ce qu’en dit la quatrième de couverture, mais plutôt comme une sombre fresque familiale sur la place de l’honneur et de la trahison dans le destin d’une fratrie. Mon intérêt initial a fini par s’émousser à la fin du récit, les deux frères s’enfermant dans leur vanité propre, reproduisent les mêmes réactions peu importe que ce soit en Écosse ou en Amérique du Nord. Les talents de conteur de Stevenson sont incontestables et son écriture avec ce roman est vraiment remarquable.

En 1889, Stevenson accède aux papiers scellés par Ephraïm Mackellar le 20 septembre 1789 relatifs à « la vie et à la mort lamentable de feu Lord Durrisdeer et de son frère James, couramment appelé le Maitre de Ballanstrae, compromis dans les événements ». Ces événements sont la tentative de rétablissement d’un roi Stuart sur le trône d’Ecosse en 1745 et l’anéantissement de ses fidèles à Culloden où James Durrisdeer s’illustre puis est porté disparu. Henry, son frère cadet, hérite du titre, des propriétés et épouse en juin 1748 Alison, une lointaine et riche cousine qui avait été promise à James. La même année Ephraïm Mackellar devient l’intendant du château et le confident de la famille. En 1757, James réapparait au domaine accompagné par le Chevalier de Burke avec qui il pérégrine depuis des années ; la confrontation entre les deux frères s’achève par un duel dans la nuit du 27 février. Grièvement blessé, James est évacué par le Chevalier. Quand le Maitre ressurgit quelques années plus tard, après des aventures en Inde, Henry et Alison s’exilent secrètement à New-York … mais James et son serviteur hindou les retrouvent et le combat fratricide reprend dans les grands espaces nord-américains habités par les tribus indiennes … Disons-le d’emblée, « les événements » de 1745 ne sont qu’un cadre et les voyages sur les divers continents ne sont qu’un décor, car cette tragédie est vieille comme Caïn et Abel. C’est ce qui rend ce récit intemporel et éternel. Car le harcèlement de James vis-à-vis de Henry, d’Alison et de leurs enfants, c’est celui d’un pervers narcissique tel que chaque époque en rencontre. Ce pourrait être le harcèlement d’un commercial vis-à-vis d’un comptable, ou le harcèlement d’une assistante par son patron … Stevenson excelle dans la description des manœuvres et manipulations de James qui ruinent, au sens propre et figuré, son cadet et le desservent vis-à-vis de son père d’abord, puis de son épouse et enfin de leurs enfants, entrainant Henry dans une spirale infernale où l’alcool et la dépression mènent vers le tragique dénouement. Traduit et préfacé par Alain Jumeau, ce Folio postfacé par Jean Echenoz, poursuit l’exploration du mal ébauchée dans « L’étrange Cas du docteur Jekyll et de M Hyde ».