Nos tendres cruautés : Le livre de Anne Tyler

C'est l'histoire d'une famille sur plus de soixante ans. Chaque chapitre est consacré à l'un de ses membres, ce qui nous permet d'adopter chaque fois un point de vu différent. Ce qui m'a empêché d'apprécier complétement ce livre ce sont ses personnages assez antipathiques voir carrément détestables. La disfonctionnalité des relations est longtemps frustrante. Paradoxalement, j'ai apprécié la véracité du récit, sans happy end mais pas sans tendresse.

C'est une famille en apparence normale, avec qui j'ai fait connaissance lors de leurs premières et seules vacances. Mercy, la mère de famille, avait décidé de ces vacances, dans un chalet au bord d'un lac, au bout de plus de vingt ans de mariage. Robin, son mari, leurs deux filles, Alice et Lily, adolescentes, et David, le petit dernier âgé de six ans, avaient suivi de mauvaise grâce. Mercy, dépassée par le poids de la famille et avec son attitude bohème, rêve de devenir peintre. Elle a l'habitude de disparaître avec son chevalet et ses pinceaux. Alice, la fille aînée, trop sérieuse, s'occupe de la logistique de la maison, surtout des repas. Lily, fantasque et délurée, passe son temps à draguer. David craint l'eau et refuse de se baigner dans le lac. Les membres de cette famille sont tellement différents et dispersés qu'un passant ne pourrait pas deviner qu'ils se connaissent. Il va se passer quelque chose pendant ces vacances, surtout pour David, qui va déterminer leur avenir et le destin des générations suivantes. C'est une famille qui parle autour d'une table, lors d'un repas, mais qui ne se dit rien, ne se confie pas. Les filles quittent la maison, et David, qui attend son tour avec impatience, le fera quelques années plus tard. À ce moment-là commence ma partie préférée de ce roman. Mercy, le lendemain du départ de son fils, réunit quelques affaires, pas trop, et en l'absence de son mari, aménage son studio à quelques rues de la maison familiale. Elle s'assoit ensuite sur sa banquette et regarde par la fenêtre. C'était ce qu'elle voulait : ne rien faire et ne penser à rien. Se vider l'esprit. Tous les jours, lorsque son mari part travailler, Mercy prend quelques affaires pour améliorer sa vie dans le studio. Elle y passe toutes ses journées avec l'excuse de peindre, puis quelques nuits, jusqu'à ce qu'elle ne rentre plus du tout. Les mots ne seront jamais posés sur cette séparation. Les enfants savent mais n'en parlent jamais avec leurs parents, qui sont présents pour toutes les fêtes familiales. Les liens se distendent encore plus. Ils s'aiment mais ne s'apprécient pas, étant trop différents. David le dira bien plus tard en repensant à cette journée traumatisante au bord du lac avec son père. C'est une superbe histoire de famille des années 1950 jusqu'au premier confinement. Il ne se passe pas grand-chose et l'histoire est quand même magique. C'est avec une infinie délicatesse que l'auteure, dont le thème de prédilection est la façon dont les femmes quittent le domicile conjugal, dissémine ses tendres cruautés.