Interview
Vincent Roy : « Il est important de parler de la gratuité heureuse qu'implique l'amour vrai »
Publié le 13/04/2022 , par le cherche midi éditeur

Le critique littéraire et écrivain s’interroge sur l’amour à l’heure de #MeToo dans un roman où il se met lui-même en scène à Venise, auprès d’une femme avec laquelle il vit un plein bonheur. L’égalité entre les deux sexes peut-elle vraiment s’affirmer à l’heure où les voix se libèrent ? Vincent Roy nous répond sans langue de bois.
Pourquoi vous être intéressé à l’amour à l’heure de Me Too ?
Le néo-féminisme est un symptôme de notre époque. Ce qui, d’emblée, m’a intéressé, c’est la censure que fabrique ce néo-féminisme qui débonde. Que la parole des femmes se libère est une bonne chose à la condition que cette libération ne soit pas dogmatique. J’entends par exemple l’une des grandes prêtresses du néo-féminisme affirmer « qu’un homme sur deux ou trois est un prédateur sexuel ». Qui a intérêt à ce que ce soit la guerre entre les hommes et les femmes ? Voilà la vraie question. Il me semble que ce qui est visé, c’est la sexualité elle-même. Partant, les clergés changent de chapelles, mais la « moraline », pour reprendre le terme de Nietzsche, est toujours servie. Pour le dire autrement, l’hystérie prend de nouvelles formes. Dans ce contexte, il m’est apparu important de parler d’amour, de la gratuité heureuse qu’implique, selon moi, l’amour vrai. Je crois en effet que la société déteste l’amour et qu’elle ment sur les rapports entre les êtres humains. Pour lui échapper, il suffit d’être heureux. Le bonheur est une décision qui se prend toujours contre.
La forme du roman s’est-elle imposée à vous de manière évidente ?
Elle s’est imposée d’elle-même. Qu’est-ce qu’un roman aujourd’hui ? Le relevé et la mise en perspective des symptômes de l’époque dans laquelle il s’écrit. Que reste-t-il du roman quand on l’arrache à ses fonctions historiques ? Un simple flux de conscience archivé dans l’instant présent, comme si les pensées devaient être enregistrées au moment de leur naissance ? Un monument de vies et d’idées exemplaires ? Un écrasement du récit par la description ? Les paysages, les villes, les monceaux de nature qui prennent le pas sur la narration ? Une bibliothèque imaginaire des auteurs qui parlent à travers la voix du romancier ? Ou, plus simplement, tout simplement la présence du style : ce qui demeure dense quand l’écriture cesse d’être écrivante ?
Vous installez l’intrigue à Venise, ville intemporelle et symbole de la romance. L’occasion de s’éloigner d’une réalité trop violente ?
À propos de Venise, les clichés XIXème ont la vie dure ! Venise n’est pas pour moi la ville de la romance mais celle de la non-séparation. Prenez le tableau du Titien intitulé L’amour sacré et l’amour profane (1514). Peut-on confondre la Vierge et Vénus ? Évidemment. C’est à Venise que ça se passe et nulle part ailleurs. Quant à la réalité, il n’est surtout pas question de s’en éloigner ce qui, philosophiquement, constituerait une faute. D’ailleurs la réalité n’est ni violente ni apaisée : la réalité est une réalité.