Interview
La Cité aux murs incertains : 6 questions à Caroline Ast, éditrice d'Haruki Murakami
Publié le 20/02/2025 , par Lisez
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Depuis 2017, Caroline Ast est la directrice des éditions Belfond. Elle nous parle de son auteur Haruki Murakami, l’écrivain japonais devenu légende, à l’occasion de la sortie de son nouveau roman, La Cité des murs incertains.
Pourquoi Murakami est-il si culte en France ?
Pas seulement en France ! Il est populaire partout dans le monde ! Il est même l’un des auteurs les plus traduits. C’est tout le paradoxe Murakami : il est profondément japonais tout en étant universel. Il touche énormément de lecteurs, même ceux qui n’ont pas l’habitude de se plonger dans des livres de plus de 500 pages, comme c’est le cas pour celui-ci. Toutes les générations le lisent et parmi elles beaucoup de jeunes.
Comment est-il considéré au Japon ?
Nul n’est prophète en son pays ! Chez eux, la littérature est sacralisée. Quand on s’éloigne de leur culture, ce qui est le cas de Murakami, les Japonais ne sont pas très indulgents. D’autant que c’est un homme secret, presque invisible, qui n’a jamais voulu tenir le rôle d’ambassadeur de la littérature de son pays. Paradoxalement, il est là-bas l’un des plus grands vendeurs de livres. Mais il semble que sa relation passionnelle avec le Japon se soit s’apaisée.
Quels sont vos rapports avec lui ?
Je ne l’ai rencontré qu’une seule fois ! Avec mes autres auteurs étrangers, je sais à peu près où ils en sont, ce qu’ils s’apprêtent à écrire. Avec Murakami, je ne suis au courant de rien. Tout est filtré par son entourage professionnel. J’ai appris assez tard qu’il allait publier un nouveau roman. Je n’en connaissais pas le sujet, il y avait un embargo sur le manuscrit avant sa parution au Japon et nous avons dû attendre qu’il soit enfin publié pour le faire traduire.
Vous étiez pressée de le lire ?
Oui, d’autant qu’il faut être patient ! Une traduction du japonais ne ressemble à aucune autre. On est davantage dans l’interprétation : les signes japonais ayant différents sens, la traductrice doit d’abord connaître l’ensemble, le contexte, avant de travailler. Je ne peux pas lui demander de me faire lire quelques pages, il m’a fallu attendre !
Sa postface (il y explique la genèse du roman), vous a-t-elle surprise ?
En la lisant, j’ai compris la démarche de Murakami pour ce livre : il y raconte comme l’une de ses nouvelles, écrite en 1980, ne le satisfaisait pas. Il confesse sa frustration puis son envie de la reprendre aujourd’hui, alors qu’il s’en sentait enfin capable. La Cité des murs incertains sera l’extension de cette nouvelle. Son humilité, son regard sincère sur son œuvre passée, m’ont beaucoup touchée.
On pourrait presque dire qu’il y a tout Murakami dans ce nouveau roman ?
Ce n’est peut-être pas un bilan mais c’est sûrement un florilège de tous ses sujets de prédilection : l’amour de jeunesse éternel, la solitude, la mélancolie, le « réalisme magique ». Le narrateur est le héros murakamien par excellence : il a le sentiment d’avoir perdu quelque chose qu’il n’a pas la capacité de retrouver. Mais Murakami y a ajouté un élément qui était jusqu’ici moins présent dans son écriture : l’émotion.