Cramés - Les enfants du Monstre : Le livre de Philippe Pujol

Dans la continuité des deux premiers ouvrages, Philippe Pujol décrit la réalité des enfants au cœur du milieu du banditisme, de la misère et de la drogue à Marseille. La particularité de ce troisième opus, réside dans la dureté des propos, des situations et de la vie quotidienne de ses enfants livrés à eux mêmes. Le livre est à la fois bouleversant, cruel et désarmant devant l’impuissance qui nous empare

La fabrique du monstre, premier livre de la "trilogie" - puisqu'on découvre aujourd'hui que ç'en était une - était un livre en colère, qui balançait tout et permettait une compréhension du système marseillais dévastateur dans toute sa complexité. Un vrai travail d'enquête, la politique de la ville décortiquée, les intérêts privés dénoncés, les acteurs nommés. J'avais été frappée et conquise par cette lecture et j'en vérifie tous les jours sa triste vérité dans ma ville. Avec Cramés, Pujol nous entraîne dans une réalité très crue des quartiers et donne quelques chiffres qui cassent les idées reçues sur l'argent facile ou le nombre réel de dealers à combattre. C'est ce que je dois à ce livre, un regard différent sur la situation. L'inaction politique est flagrante mais pas expliquée, ou alors de façon trop floue, lors des nombreuses prises de parole médiatisées. Pujol donne dans le sous-entendu, les extrapolations et un air de "j'me comprends" qui me semble loin du travail minutieux d'un prix Albert Londres. Il s'agit donc plutôt de rapporter des témoignages individuels, certes poignants, par un gars des quartiers qui s'en est très bien sorti, qui y a encore quelques entrées et peut s'assoir à la table de certaines familles pour raconter leurs histoires. Des histoires qui ne sont pas roses, qui touchent, qui font mal et dont le cours ne parait pas pouvoir dévier. Sur ceux qui se bougent, sur les réussites, sur les chemins pour sortir du déterminisme, pas grand-chose, voire rien. Dommage, car ils font la majorité. Il y a plus de désespoir que d'enquête et de réponses, beaucoup de références marseillo-marseillaises, le tout servi par une écriture rapide et peu recherchée, un peu flemmarde et parlée. Ça m'a laissé une impression de "Je suis venu, j'ai vu, j'ai pas relu".

#187 "Cramés" (2024) Philippe Pujol (Éditions Julliard) Après "La Fabrique du Monstre" qui (nous) plongeait dans les Quartiers Nord de Marseille et décortiquait leur singularité, après "La Chute du Monstre" qui démontait le système politico-mafieux tentaculaire à l'oeuvre dans la ville, voici " Les enfants du montre", désignés sous ce mot : "Cramés". Philippe Pujol délaisse dans ce 3ème opus les chiffres et les statistiques. Il retourne sur le terrain, va à la rencontre des minots. Ceux qu'on ne connait pas, à qui on ne parle pas, qui vivent dans ces cités des Quartiers Nord d'une manière qu'on ne peut pas soupçonner. Il est notre oeil et notre oreille. Son enquête est une rencontre, une discussion avec eux, avec leur mère, leur sœur, leur tante. Et nous en sommes le témoin ébahi. C'est une immersion dans ces lieux et ce milieu où, même Marseillais, même Marseillais de ces Quartiers, on ne va pas et dont on n'a pas une idée juste. "Cramés" est un livre glaçant de lucidité. Sur une vérité dont on aimerait qu'elle ne soit pas. Mais dans ces pages qui se lisent presque comme un roman, ce que l'on a frôlé de ces gosses parfois dans la rue - un regard, des mots, un ton, un rire, une expression - prend une résonance nouvelle. Le journaliste-passeur fait de ces vulnérables les protagonistes d'une histoire qui n'est hélas rien d'autre que la réalité crue de notre époque, de Marseille - et d'ailleurs ? Il faut lire "Cramés" et ne plus fermer les yeux, ne plus regarder ailleurs. Il en va de ces vies brisées, de cette ville et du pays entier. Le chantier est immense. Et avec les leviers utilisés habituellement, on se fourvoie complètement. C'est ce qui apparaît clairement ici. Je fais le vœu que des responsables politiques nationaux et locaux lisent "Cramés". Et s'en saisissent pour que ce témoignage précieux ne reste pas lettre morte.