Emma : Le livre de Jane Austen, Hugh Thomson

Ce roman est l'histoire d'une héroïne, Emma, dont le caractère évoluera au fil du roman. De candide manipulatrice à une femme pénitente de ses maladresse et engagée vers la sagesse. (bref elle moins marrante à la fin qu'au début). Sans doute le roman le plus dense d'Austen, celui où les péripéties sont les moins nombreuses et les relations entre personnages les plus complexes. Au début du roman, Emma est une intrigante, une jeune fille qui n'a pas froid aux yeux et qui se veut être entremetteuse. Elle pense être perspicace et deviner les sentiments et mobiles de son entourage avec plusieurs coups d'avance. Elle se rêve d'être marionnettiste mais emmêle très vite les fils, provoquant des quiproquos ou des interprétations malhabiles. Le lecteur s'en délecte, prévoyant ou anticipant les erreurs de compréhension des réactions de son entourage. Elle s'imagine façonner le caractère et le destin d'une jeune fille, Harriet Smith, avant de se rendre compte de ses multiples méprises, voire conduisant son "amie" dans les bras de l'homme qu'elle convoite avant de se méprendre à nouveau. Elle décide dès lors de gagner en maturité, de consacrer sa vie à son père et à être une femme mâture et sage. C'est donc l'histoire de l'évolution d'un personnage autour duquel gravitent de très nombreux caractères multiples Harriet, Jane, Mrs Elton, le père Woodhouse, Mr Knightley, Frank Churchill, Mrs Bates,... On a un peu l'impression d'être dans un huis clos à la Bacri-Jaoui, si ce n'est que les tensions sont moins violentes et que le huis clos s'étale sur plusieurs propriétés. Véritable comédie entre personnages avec un drame bien léger. Emma peut irriter au début du roman mais son évolution la rend plus plaisante, surtout lorsqu'on sourit de ses méprises et maladresses. Malheureusement, une fois encore avec Jane Austen, j'ai beaucoup de mal à m'intéresser à ces personnages dont les vies sont tellement déconnectées du vécu des millions d'autres britanniques. La facétie autour du piano offert illustre cette déconnection totale et l'omniprésente d'une division sociale profonde au sein de la société britannique. - "Oh mais qu'ai-je fait, j'ai servi le lapin en broche avant le pot-au-feu de perdrix" Mister Woodhouse en fera des neuvaines....

Tout va bien pour elle! Jolie et intelligente, de bonne et confortable condition, vivant seule avec son père M. Woodhouse, Emma n’a d’autre souci que de trouver à s’occuper depuis le départ de sa sœur aînée Isabelle et surtout de la gouvernante Miss Taylor. Celle-ci s’est mariée pour devenir Mrs Weston. Tout le monde aime tout le monde et s’intéresse au bonheur de chacun à Highbury. Aussi Emma conçoit-elle rapidement son rôle de faiseuse de mariages à Highbury. Quant à elle, elle compte rester célibataire et indépendante. Chez Emma, les considérations de classe sont primordiales: sur l’échelle de la classe sociale, on énumère les échelons de différence entre potentiels prétendants. Âge, revenus, éducation et statut social tels sont les critères de la société pré-victorienne pour une alliance convenable. Il s’agit pour le moins de conserver son rang et d’être éminemment respectable. Et la charité exercée n’est faite que pour se convaincre du bien fondé de sa position sociale. Emma vampirise ses relations notamment avec la petite Harriet; d’entremetteuse à intrigante, il n’y a qu’un pas qu’Emma franchit. Elle est tant remplie d’idées préconçues qu’elle est aveugle aux entreprises de séduction à son encontre. Seul M. Knightley lui oppose sa lucidité, perspicacité et bon sens. Mon avis sur ce roman est mitigé; je lui préfère Orgueil et Préjugés ou Raison et sentiments qui sont bien plus mordants sur la « bonne » société anglaise du début du XIXème siècle. L’héroïne, Emma, est une insupportable pimbêche de vingt et un ans et c’est son parcours qui n’est fait que d’approximations, de superficiel et d’erreurs de jugement, puis son évolution raisonnée qui la rend finalement attachante. Tout le coeur du roman est là, dans cette morale sur la nécessité de l’authenticité des sentiments. Quant à son charme, il réside bien entendu dans son écriture élégante et tout en retenue.

Je suis triste parce que je n’ai pas aimé Emma, qui m'a pourtant été chaudement recommandé par une amie proche. J’ai trouvé le rythme trop lent et n’ai pas réussi à m’immerger dans l’histoire. La mise en page n’a pas aidé : écriture en petits caractères et texte peu aéré, ce qui rend la lecture d’autant plus difficile. Cela dit, je ne peux que reconnaître le génie de Jane Austen. Son écriture est d’une grande finesse, et sa critique de la société est maîtrisée : mariage, classe sociale, relations de pouvoir… tout est traité avec une précision remarquable. Même si je n’ai pas aimé ce roman, je comprends pourquoi il est considéré comme un classique. Et puis malgré tout, j’ai trouvé Emma un peu attachante, avec ses défauts et son caractère. C’était également ma première incursion dans l’Angleterre de cette époque, loin de Londres, dans une campagne vivante contrastée et ça m'a beaucoup appris.

Plutôt que de relire encore et encore Orgueil et préjugés, me suis-je dit, pourquoi ne pas tenter d'autres romans de Jane Austen? Après avoir essayé Raison et sentiments (que j'ai plutôt bien aimé malgré une lecture un peu pénible), je me suis attaquée à Emma, considéré comme le roman le plus abouti de l'autrice. Et effectivement, j'ai pris grand plaisir à suivre ce chassé-croisé amoureux et social. L'intrigue est bien ciselée et l'ensemble traité de manière subtile, la critique sociale est plus fine que dans les deux premiers romans de Jane Austen. Les personnages sont nombreux et nuancés, j'ai eu l'impression que l'autrice traitait ses personnages "ridicules" avec plus de tendresse que dans ses autres oeuvres (Miss Bates ainsi que le père d'Emma notamment). Et l'héroïne éponyme est très très bien écrite, elle est remplie de défauts qui devraient la rendre insupportable, mais sa capacité à reconnaître ses erreurs et à se remettre en question la rattrape et la rend attachante - sans qu'on verse dans le moralisme pour autant. Un exercice d'équilibriste que Jane Austen maîtrise à la perfection. Somme toute, ce roman m'a paru objectivement meilleur qu'Orgueil et préjugés, tant dans sa construction élaborée que dans le traitement tout en finesse de ses thèmes et de ses personnages. Et pourtant, je dois admettre que j'ai pris moins de plaisir à sa lecture. Je ne sais pas trop pourquoi - peut-être parce qu'il est bien plus long et que la lecture s'en ressent, peut-être parce que j'ai lu Orgueil et préjugés en premier et qu'il a gardé pour moi une fraîcheur inégalable. Je reste toutefois curieuse d'aller découvrir le reste de l'oeuvre de Jane Austen...