La ballade de l'impossible : Le livre de Haruki Murakami

Ça faisait longtemps que je voulais chroniquer un livre de Murakami, ce génie japonais d'une simplicité qui véhicule tant de poésie. "La ballade de l'impossible" est possiblement son œuvre qui m'a le plus marquée. Alors qu'il entend lors d'un voyage en avion la chanson des Beatles "Norvegian Woods", un jeune homme est littéralement transporté en arrière, des années auparavant, à l'époque où il était étudiant à Tokyo, où son meilleur ami venait de se suicider et où il était amoureux de la petite amie de celui-ci, Naoko. Murakami campe des personnages incroyablement humains, avec leurs caprices, leurs forces et leurs addictions, et la thématique de l'amour est présente absolument partout. Peut-on pourtant dire que c'est un roman d'amour ? C'est à mon sens plutôt un livre sur la complexité lancinante des relations humaines et sur ce qu'on ressent quand on est si jeune, qu'on a l'impression qu'on a encore tout à vivre et tout vécu, lorsque le vide intérieur est si grand qu'on le comble avec ce qu'on peut. Tantôt sincère, tantôt mélancolique, érotique et pessimiste, un roman bouleversant sur l'adolescence qui sait faire ressortir l'intime et la profondeur du quotidien le plus banal. Un écrivain à découvrir absolument.

Lors d’un déplacement en avion en Allemagne, Watanabe entend la chanson Norwegian Wood des Beatles via les hauts-parleurs de l’appareil. Cela éveille soudainement les souvenirs de sa jeunesse, près de vingt années plus tôt, dans le Japon de la fin des années 60. Celui de son amour pour Naoko, une adolescente hantée par les suicides de sa sœur et de son petit ami Kizuki, également camarade de Watanabe. De sa rencontre avec Midori, une jeune fille qui masque son mal-être derrière une personnalité excentrique. Et de Reiko, cette ancienne professeur de musique chargée de surveiller Naoko, alors internée dans un centre hospitalier dans les montagnes. Des souvenirs chargés d’émotions, ceux des premiers émois amoureux, des conséquences de la perte d’êtres chers et de ces choix qui impacteront toute une vie. Un an après avoir découvert la plume de Murakami avec Kafka sur le rivage, je poursuis mon exploration de l’œuvre du maître japonais. On est assez loin du récit chargé en symboliques de ma lecture de l’an passé. Ici, l’auteur propose un roman d’initiation où il explore la thématique du passage à l’âge adulte et des premières expériences qui viennent façonner un individu. La mort, le deuil, la solitude, l’incertitude des sentiments amoureux… on notera que la musique sert souvent de liant pour signifier ce qui semble difficile à exprimer verbalement. Une grande place est faite à la musique, de même qu’à la littérature. Les ombres de Fitzgerald et Conrad viennent planer sur le récit. Le plus évident étant cette évocation de Thomas Mann, lorsque, avant de rendre visite à Naoko dans le centre hospitalier dans les montagnes, Watanabe est plongé en pleine lecture de La montagne magique. Une autre facette de Murakami que j’ai apprécié découvrir, même si, à titre personnel, je le placerais légèrement en deçà de Kafka sur le rivage. Tout comme pour ma lecture précédente, je demeure admiratif de sa faculté de créer une galerie de personnages auxquels on s’attache facilement. Des êtres vulnérables et profondément humains, confrontés à des problématiques universelles.

Titré Noruwei no mori en japonais, en référence à la chanson des Beatles « Norwegian Woods », ce roman s’empare de thèmes chers à l’auteur comme le deuil, la mélancolie ou la sexualité d’une jeunesse égarée entre ses élans intimes et ses douleurs profondes. Le narrateur de cette histoire au rythme lent mais hypnotique est un lycéen du nom de Watanabe qui, à la suite du suicide de son meilleur ami, entreprend une relation aux frontières floues avec la petite amie de ce dernier, jeune fille perturbée, fragile mais pleine de grâce et en proie à un profond désespoir. En parallèle, Watanabe rencontre Midori, une étudiante extravertie et délurée qui suit le même cours d’Histoire du théâtre que lui et qui semble vivre seule à l’étage de la petite librairie familiale depuis la mort de sa mère et le départ de son père. Tiraillé entre des sentiments avec lesquels il parvient difficilement à jongler, comme le deuil, l’amitié, la loyauté, l’attraction sexuelle et l’empathie, Watanabe poursuit son quotidien entre son dortoir étudiant, les cours de littérature et son travail dans un magasin de disques. D’un œil distant, il suit les mouvements étudiants de la fin des années soixante qui s’élèvent hypocritement contre le pouvoir établi, ou se laisse entraîner par son seul ami le brillant, charismatique mais insupportable Nagasawa, avec lequel il partage son admiration pour Gatsby le Magnifique ainsi que des nuits remplies d’alcool et de stupre en quête de filles faciles. Contrairement à beaucoup de romans de Murakami, nulle irruption du fantastique dans cette histoire qui avance à pas feutrés dans les méandres adolescentes, ses souffrances intérieures souvent indicibles et inaudibles, dans ses fantasmes sexuels, ses riches références à la musique, à la littérature ou au théâtre. La jeunesse japonaise a vibré à l’unisson de ces personnages attachants et blessés, ce qui a grandement contribué au succès de Murakami après la parution de ce roman en 1987. Avec sa prose simple mais profondément évocatrice, il traduit l’éveil à la vie d’adulte et parvient à donner corps aux souvenirs de jeunesse, entre violence et poésie.