Malheur aux vaincus : Le livre de Gwenaël Bulteau

Troisième roman noir du Lyonnais qui s’intéresse à des périodes de l'histoire peu traitées dans le polar. Avec "Malheur aux vaincus" il embarque le lecteur à Alger, en 1900, alors que la France est en pleine affaire Dreyfus. En Algérie un gouverneur général détient tous les pouvoirs et dépend du ministère de l'Intérieur, les musulmans de leur côté ont de moins en moins de droits notamment dans la vie politique. La France entend bien poursuivre ses guerres coloniales pendant cette période pour étendre son empire. Ce roman de Gwenaël Bulteau l'illustre bien en intégrant au récit la mission Voulet-Chanoine, une expédition pour conquérir le Tchad et qui débutera en 1899. Cette sombre mission finira à plusieurs reprises dans le sang et des villages entiers seront massacrés. Pendant ce temps-là dans Alger, la maison d'un riche colon est prise pour cible et un homme est assassiné avec sa femme. Est-ce que son passé d'ancien militaire est suspect ? Les tensions augmentent et les encaisseurs envoyés par les banques pour prélever des dettes sont aussi ciblés par d'étranges attaques. Le lieutenant Julien Koestler a du pain sur planche et il s'apprête à mettre le nez dans ce que la France a fait dans ses colonies. Un environnement où la violence, le racisme et l’antisémitisme se côtoient au quotidien. La construction de ce roman noir historique est redoutable et l'équilibre entre la documentation et les destins des personnages est bien dosé tout du long. Ajoutez à cela un lieutenant qui tombe amoureux pendant son enquête et un groupe d'enfants des rues d'Alger qui compte bien tirer son épingle du jeu dans ce contexte tendu et vous avez un excellent roman. Bulteau est rarement là où on l'attend et c'est une très bonne chose. C'est pour ce genre de bouquin que l'on apprécie autant le roman noir, cette justesse dans le traitement des thèmes d'une époque pas si révolue. Un roman dans l'Algérie coloniale qui fait écho avec l'actualité.

Alger en 1900, la demeure de la famille Wandell vient d’être le théâtre d’un massacre six meurtres avec les maîtres et les domestiques. Les suspects sont deux forçats du bagne qui travaillés là et qui ont voulu s'évadé. Le lieutenant Julien Koestler est chargé de l’affaire, il doit retrouvé les évadés. Une affaire antisémite qui fait écho a celle de Dreyfus en divisant le peuple. Cela rajoute de la pression après de nombreux crimes dont sont victimes les employés de plusieurs banques. L'autrice décrit la colonie algérienne avec la violence des chaouchs, l’avidité des colons, et l’antisémitisme. Gwenael Bulteau va raviver les plaies du passé alors qu'ils ne sont toujours pas cicatrisé, la plume est aussi délicate que vénéneuse. Un texte très bien construit, puissant et sans fioritures. Suspense et rebondissements. Historique, Colonie, Massacre, Antisémitisme, Algérie.

Un livre époustouflant au cœur de la violence de l'Algérie coloniale. J'ai adoré ce polar historique très documenté, l'écriture nous emporte en mêlant habilement personnages réels et de fiction. Lorsque Arthur Wandell, sa femme et leurs domestiques sont sauvagement assassinés, tout porte à croire que ce sont deux forçats détachés du bagne, qui venaient travailler dans le jardin, qui ont fait le coup. Mais l'enquête s'annonce sinueuse, dans une Alger multiculturelle pétrie de tensions et rongée par la violence raciste et anti sémite. J'ai adoré ce livre, emportée par les personnages et lintrigue qui se devoile par petites touches, la mise en lumière d'événements historiques méconnus de la "conquête coloniale". J'ai hâte de lire un autre livre de cet auteur.

Pour avoir resquillé dans un train, René Josse fera trois mois de prison, ce qui lui vaudra d'être envoyé faire son service militaire (trois ans !) aux bataillons d'Afrique. Forte tête à l'armée comme dans le civil, il est condamné à la compagnie disciplinaire, et se retrouve dans un des bagnes coloniaux organisés par l'armée française, connus sous le nom de Biribi. Pour avoir tenu tête à un gradé qui se comporte comme un tyran, il subira un châtiment terrible destiné à le briser. Gwenaël Bulteau nous entraine ensuite sur les lieux d'un massacre. Dans la belle villa de la riche famille Wandell, on vient de retrouver six cadavres, dont le couple de propriétaires, une jeune domestique de 16 ans, et trois tirailleurs chargés de surveiller deux bagnards venus effectuer des travaux. En plus de la police locale, on fait donc appel à l'armée et le lieutenant Julien Koestler se rend sur place pour enquêter. Les deux pénitentiaires, en fuite, seront immédiatement soupçonnés, mais les choses sont-elles si simples, s'interroge le jeune lieutenant ? *** À l'enquête du lieutenant Koestler sur les meurtres va s'ajouter celle de la police locale qui concerne des attaques récurrentes sur des convoyeurs de fonds. le très sympathique et très compétent lieutenant Koestler est représenté de manière réaliste, en homme de son époque. Par exemple, il ne peut s'empêcher d'une forme de discrimination envers Omar Soleymane, un tirailleur soudanais qui l'aide dans son enquête et dont il apprécie les qualités, mais qui sera victime de ses préjugés sur les Africains. Par ailleurs, la jeune commerçante qui retient l'attention du lieutenant, Catherine Hoffmann, ressentira de sa part un mépris de classe dont le jeune homme n'est pas conscient. L'histoire racontée dans Malheur aux vaincus se déroule en 1900, mais il est très souvent question d'événements ayant eu lieu en 1898 ou un peu avant, et plus particulièrement d'une désastreuse et sanglante campagne militaire bien réelle connue sous le nom de « mission Voulet-Chanoine » (voir les chapitres en italique et les très éclairantes critiques de @afriqueah et de @monromannoir). Je connaissais l'affaire Dreyfus, bien sûr, dont les suites divisent encore la communauté française à cette époque. Je n'avais en revanche pas conscience de ses répercussions en Algérie. Un antisémitisme virulent gangrène la colonie française. L'auteur nous accompagne parmi les immigrés venus d'Alsace-Lorraine après la Première Guerre mondiale. Beaucoup sont commerçants, certains sont Juifs, et tous sont considérés avec méfiance. Max Régis (qui a vraiment existé et qui sera deux fois brièvement maire d'Alger élu à la tête d'une liste antijuive) joue les agitateurs et ses partisans présentent de réels dangers : bagarres, émeutes, règlements de compte organisés, etc. Ses affidés invitent au pillage des magasins appartenant à des Juifs et recommandent de déserter ceux qui accueillent des Juifs comme clients (voir https://shs.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah1-2001-3-page-137?lang=fr#s1n4 pour des détails sur ce personnage). Autant, voire plus encore que les deux enquêtes, c'est le contexte historique qui m'a vraiment plu dans ce roman !