Werner Herzog, Mémoires - Chacun pour soi et Dieu contre tous : Le livre de Werner Herzog

Ce livre est un cadeau surprise de la part de mon amie D. Et c'est comme une boucle qui se ferme puisque ces mémoires ont été traduites (de l'allemand) par une autre vieille connaissance : Josie Mély, celle qui a été au début des années 80 ma "prof" pour la prise de notes dans le cadre d'une formation pour devenir interprète-accompagnateur de voyages (et de rencontres franco-allemandes). Pas mal de monde (et pas seulement les cinévores) ont déjà vu ou ont au moins entendu parler des films de Werner Herzog, notamment les films avec Klaus Kinski ("Aguirre", "Fitzcarraldo", "Nosferatu", "Woyzeck"), d'autres ont peut-être vu un de ses nombreux films documentaires autour ou sur des personnages hors du commun (dernièrement "Au cœur des volcans" à la mémoire des vulcanologues Katia et Maurice Krafft ou au début des années 2000 le documentaire "Grizzly Man" - sur Timothy Treadwell - défenseur de Grizzly qui a vécu pendant plusieurs années au milieu des grizzlys d'Alaska (sans armes (!) avant de se faire dévorer par l'un deux)). Documentaires avec ses (toujours) beaux et pertinents commentaires dits avec sa voix aux accents bavarois. D'autres l'ont vu comme acteur dans « Jack Reacher » ou « The Mandalorian ».En effet, cet homme qui avec Fassbinder, Wenders et Schlöndorff faisait partie (dans les années 60 et 70) de la première génération du nouveau cinéma allemand a fait plus de 70 films (presque chaque année un film; il a mis en scène des opéras aussi !). Il a maintenant 82 ans et publie ses mémoires.   Ce "cinéaste de l'impossible" y parle bien entendu de son enfance (dans l'Allemagne détruite, avant de passer les premières années - heureuses - dans un village dans les montagnes bavaroises), mais comme il le dit lui-même : "ce ne sont pas vraiment des mémoires que je publie, ce n'est pas une suite chronologique de ma vie, mais de la prose pure. La force du livre se trouve dans le plaisir de raconter des histoires". Et en effet, sa vie est une suite d'histoires qu'il raconte parfois erratiquement (il peut étonner ou même désarçonner le lecteur par ses nombreuses digressions - bravo à Josy d'avoir gardé le cap), mais une chose est sure, c'est toujours de manière vivante. Je ne connaissais rien de ses débuts au cinéma, ni de son long séjour aux Etats-Unis (et le Mexique) - il était, pour gagner sa vie, entre autres cavalier de rodéo (!) - . Je ne savais pas non plus qu'il avait travaillé avec la NASA et en fermant le livre (lu de manière découpée, à savoir quand j'avais envie de me plonger dans la démesure viscérale, dans cette sorte de folie (à mes yeux, puisque je ne suis pas un aventurier dans l'âme) d'un homme dont l'auteur britannique Bruce Chatwin était "l'âme sœur" (voir le documentaire "Le Nomade. Sur les pas de Bruce Chatwin). Et c'était notamment une sorte de contre-poids à la lecture éminemment poétique et méditatif de "Vivre tout bas" de Jeanne Benameur (!). Bruce Chatwin était "l'âme sœur" (voir le documentaire "Le Nomade. Sur les pas de Bruce Chatwin). Et c'était notamment une sorte de contre-poids à la lecture éminemment poétique et méditatif de "Vivre tout bas" de Jeanne Benameur (!). Le livre puzzlesque (qui donne aussi une large place à "ses" femmes - dont la grande actrice Eva Mattes, et depuis 30 ans (!) maintenant avec l'artiste Elena Pisetski - Lena Herzog), est une mine d'or pour toute personne qui essaie de trouver des explications sur maintes prises de vue ou métaphores qu'on trouve dans sa filmographie (et c'est dès l'Avant-propos qu'on apprend des explications sur la scène finale d'Aguirre, la colère des dieu" avec le radeau envahi par des centaines de petits singes - Au début il voulait terminer avec un radeau ne convoyant que des morts et un seul survivant : un perroquet (!). Presque un roman d'aventures picaresques - à mettre dans toutes les mains à la recherche de tranches de vie pleines d'aventures "vraies" - et les cinéphiles devraient se jeter dessus. Le prix du meilleur ouvrage étranger sur le cinéma décerné par le Syndicat de la critique de cinéma est certainement un autre grand passeport pour un tour du monde.

Se plonger dans ce livre, c'est un peu comme se rendre dans une taverne bavaroise, y rencontrer par hasard Werner Herzog et boire des pintes en l'écoutant palabrer toute la nuit. On risque d'en sortir avec une gueule de bois, on reste coi devant les magnifiques digressions et on se demande souvent quelle est la part de vérité (un sujet qui l'obsède) et de fabulation. Pourtant, le réalisateur fou paraît sincère quand il raconte ses tournages épiques, sa rencontre, adolescent, avec le dangereux Klaus Kinski, ses prises de risques spectaculaires, souvent au péril de sa vie. Toujours hors du cadre, hors des parcours lisses et balisés, il s'intéresse aux caractères trempés, aux destins extraordinaires, aux capacités de résilience des femmes et des hommes face à l'autoritarisme étatique ou la nature hostile, analysant et modelant le matériau humain avec une hauteur de vue peu commune. L'occasion aussi d'explorer un peu plus sa filmographie, au-delà des chefs-d'oeuvre Aguirre, Fitzcarraldo et Nosferatu, et en particulier son versant documentaire que je connaissais mal... Avis aux cinéphiles.

Fascinée par les documentaires et les fictions de Herzog et n'ayant pu dénicher "Conquête de l'inutile", j'ai sauté sur cette bio qui est à l'image de son auteur:elle n'en fait qu'à tête. Pas vraiment chronologique, mélangeant lignes d'aujourd'hui (moyennement écrites-ou traduites, je ne sais) et fragments de lignes d'hier (très lyriques), ce livre fonctionne comme un herbier de souvenir procédant par associations d'idées. Ceux qui se sont déja intéressés à Herzog retrouveront des anecdotes connues (son goût pour les marginaux et les parias, ses démêlés avec Klaus Kinski, son pélerinage en ligne droite vers la maison de lotte Eisner), d'autres moins (ses multiples flirts avec la mort, beaucoup plus nombreux que je ne pensais) . Au final, ceux qui partagent l'obsession de Herzog pour le bizarre, le voyage, les situations extrêmes trouveront du grain à moudre, notamment sans les projets sur des sujets fous que cet homme de 82 ans continue à porter. Et à terme cette conviction:cet homme est un de ces fous à lier de moins en moins nombreux dont nous autres, ternes occidentaux plein de torpeur, avons désespérément besoin pour rêver et nous donner des coups de pied au cul au quotidien.