Journal d'un écrivain : Le livre de Virginia Woolf

Virginia Woolf est une autrice incontournable de la littérature anglaise, dont l’importance n’est plus à démontrer. Si vous ne l’avez pas encore lue, je ne peux que vous encourager à découvrir ses œuvres. La lecture de cet ouvrage m’a beaucoup intéressée, car les journaux intimes sont toujours des sources fascinantes, et encore davantage lorsqu’ils sont écrits par une autrice aussi remarquable. Dans ses journaux, Virginia Woolf partage ses doutes autour de la publication de ses œuvres, mais aussi ses réflexions sur ce qu’elle cherche à accomplir avec ce journal. Ce dernier, qui n’est ni un roman ni une œuvre de fiction, se veut à la fois une mémoire de sa vie — elle y raconte notamment ses rencontres — et un espace de réflexion sur l’écriture intime. À une époque où le journaling est en vogue, il est fascinant de voir comment Woolf questionnait déjà cette pratique bien avant qu’elle ne devienne populaire. Ici, la qualité littéraire passe au second plan : ce qui importe, c’est ce qu’elle livre sur elle-même, ce qu’elle garde en mémoire et la manière dont cela lui permet de suivre son évolution personnelle. À travers ces pages, on découvre les nombreuses réflexions de Woolf sur son travail d’écrivaine, ses doutes récurrents à chaque publication, et ses questionnements sur le succès ou l’échec de ses œuvres. Elle analyse avec acuité son rôle d’autrice mais aussi de critique littéraire, et cela nous donne un aperçu unique de son approche créative et de son recul sur sa propre production. Elle évoque également ses lectures, allant des classiques comme Euripide à Racine, et ses journaux nous offrent une fenêtre sur sa méthode de travail, sa manière d’accueillir les critiques, et son rapport à l’écriture. On y perçoit combien tenir un journal peut aider à structurer ses idées, à prendre du recul sur soi et sur les événements de la vie. Si certaines parties, notamment celles où elle relate de nombreuses rencontres avec des personnalités dont les noms me sont inconnus, peuvent paraître un peu longues, le reste du texte invite réellement à la réflexion.

Les choix de Leonard Woolf donnent à ce journal une teinte très particulière, centrée sur le métier d'écrivain, dans sa matérialité. Cela entraîne une différence avec les journaux d'André Gide ou de Katherine Mansfield, centrés sur les rencontres, portraits et discussions avec les amis ou personnes rencontrés, ou les carnets d'Imre Kertész et d'Albert Camus, centrés sur des questions philosophiques, plus intellectualisants. Virginia Woolf nous fait entrer dans les tracas journaliers : l'organisation pour écrire, la recopie, les relectures, la pesée de chaque phrase, les épreuves, l'argent gagné, le nombre de ventes, les critiques journalistiques. Le Times Litterary Supplement y devient un personnage à part entière : elle y écrit, et on écrit sur elle. Cela n'est pas le seul élément important : il y a la lutte contre la dépression, la description du gratin intellectuel anglais des années 1920, et finalement la description puissante des bombardements lors de la bataille d'Angleterre (1940). Peu d'oeuvres m'auront marqué aussi profondément : elle oblige à se ressaisir soi-même dans sa propre organisation, ses propres difficultés. Peut-être est-ce un livre pour fans, qui souhaitent connaître la genèse des livres admirés, ou un livre pour artistes, qui souhaitent avoir un rapport dialectique à leur propre pratique. Je pense cependant que chacun devrait faire l'effort d'entrer ainsi dans l'esprit d'un autre, dans ses problèmes quotidiens, ses pensées au jour le jour, pour comprendre et tenter de reproduire cette activité étrange qu'est celle de produire du sens.