Coulée Brune - Comment le fascisme inonde notre langue : Le livre de Olivier Mannoni
" J'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. Je dissous donc l'Assemblée. " Silence retentissant dans un pays sonné. Pourtant, l'écrasante victoire de l'extrême droite aux élections européennes n'est pas une surprise. Le glissement s'opère depuis longtemps dans notre langage. À quand cela remonte-t-il ? Au second tour de 2002 ? à la crise des Gilets jaunes ? à celle du COVID-19 ? Olivier Mannoni, qui a traduit
Mein Kampf et qui connaît les pièges du discours et de la sémantique, sait, lui, qu'il faut creuser plus loin, jusque dans les entrailles de notre Histoire européenne.
Avec une pensée claire et des mots incisifs, il analyse les prises de parole de nos politiciens et passe au crible les médias vecteurs de fausses informations. D'une lucidité redoutable, ce livre uppercut met à nu les menaces linguistiques qui pèsent sur nos démocraties.
De (auteur) : Olivier Mannoni
Expérience de lecture
Avis des libraires
Avis Babelio
holyvierrr
• Il y a 1 mois
Le coeur du livre d’Olivier Mannoni - qui sait de quoi il parle pour avoir traduit Mein Kampf - est on ne peut plus actuel et préoccupant: “Une langue dont on massacre la syntaxe, la grammaire et l'orthographe ne peut plus être un outil de réflexion rationnel. (...) Ce travail de démolition tout terrain ronge le dialogue démocratique, démolit et retourne comme des gants les concepts sur lesquels régnait jusqu'alors un consensus sémantique et gérant inutilisable.” (149) Complémentairement à ce travail de destruction, Mannoni montre comment l’indignation perpétuelle, le montage en épingle de faits divers pour en faire des prétextes à scandales contribuent à disloquer la réflexion. Plus généralement, on pourrait ajouter des faits sociaux qui sont hors du radar de Mannoni, à savoir la publication des enquêtes d’opinion, dont les fameux sondages électoraux, tous azimuts : dans son essai “Stat Wars” (!), Hervé Guyon, maître de conférences en psychologie statistique nous explique que ”un sondage d’opinion prétend rapporter l’opinion des personnes interrogées en l’extrapolant à l’ensemble de la population. En réalité, (...) le résultat de l’enquête d’opinion cherche à affirmer l’opinion que tout le monde doit accepter car elle est soi-disant partagée par la majorité. (...) Un sondage d’opinion répond à cette fonction politique, faire croire à une sorte d’unanimisme qui anesthésie toute contestation car jugée minoritaire. L’objectif est de construire ce consensus et de l’imposer à tout le monde.” (38-39) Johann Hari analyse dans “On vous vole votre attention” d’autres mécanismes qui contribuent à affaiblir la capacité de raisonnement Mais revenons-en à Mannoni. Il s’intéresse aux adeptes du complotisme pour qui “l'important c'est de laisser planer le doute et de déclencher le chaos. La sacralisation du peuple souverain ou de la volonté du peuple par les 'populistes' a en effet pour envers l'indifférence au pluralisme, le mépris des médiations et le rejet des contre-pouvoirs." (142) Dans “Les ingénieurs du chaos”, Giuliano da Empoli dressait déjà ce constat: “En cultivant la colère de chacun sans se préoccuper de la cohérence de l'ensemble, l'algorithme des ingénieurs du chaos dilue les anciennes barrières idéologiques et réarticule le conflit politique sur la base d'une simple opposition entre le peuple et les élites. (...) Bien entendu, comme les réseaux sociaux, la nouvelle propagande se nourrit principalement d'émotions négatives car ce sont celles qui garantissent la plus grande participation, d'où le succès des fake news et des théories du complot.” (24) Et cette dynamique est d’autant plus pernicieuse qu’elle démarre au quart de tour: “Une récente étude du MIT a démontré qu'une fausse information a, en moyenne, 70 % de probabilités en plus d'être partagé sur Internet, car elle en est en général plus originale qu'une vraie. Selon les chercheurs, sur les réseaux sociaux, la vérité prend 6 fois plus de temps qu'une fake news pour toucher 1.500 personnes.” (da Empoli, 84) Non seulement les armes sont inégales entre les populistes qui manient les exagérations et les mensonges et les démocrates qui essaient de rendre justice à la complexité du monde, mais aussi, ces derniers sont pris de vitesse par les populistes. Dans “Aliénation et Accélération”, Hartmut Rosa faisait remarquer que “L'organisation du processus de formation de l'opinion est plus longue si les groupes sociaux deviennent plus hétérogènes et dynamiques et si les conditions du milieu se modifient plus rapidement. Ainsi, les mêmes processus qui accélèrent les changements sociaux, culturels et économiques ralentissent la formation de la volonté et la prise de décision démocratiques, ce qui mène à une nette désynchronisation entre la politique, d'une part, et la vie et l'évolution socioéconomiques, d'autre part.” (96-97) Olivier Mannoni a écrit son essai alors que Donald Trump allait être consacré pour une deuxième fois dans les urnes. Quelques semaines plus tard, il allait dépasser ce que Mannoni décrypte comme mécanisme de démantèlement de la pensée dans la mesure où Trump 2 est encore plus radical dans son approche, ne se contentant pas de maltraiter le langage: il l’élague également en censurant dans la sphère académique ou de l’administration l’usage de noms communs jugés trop “woke”. Un article du Courrier International les recense (*). Il en résulte des situations absurdes comme la disparition des archives militaires du bombardier ayant largué la bombe nucléaire sur Hiroshima au motif qu’il sonnait trop LGBT… Pourtant, “Enola Gay” était le nom de la grand-mère du pilote. (**) Enfin, on pourrait s’intéresser à la dimension intergénérationnelle de la Coulée brune. Suite aux récentes élections allemandes qui ont porté à des sommets l’AfD, parti d’extrême-droite qui a joui d’un appui marqué d’Elon Musk, le Financial Times a publié un article (***) révélant les préférences des électeurs selon les différentes cohortes. Les seniors se laissent moins tentés par les extrêmes lors des scrutins. Les plus de 70 ans votent 2 à 3 fois moins pour les extrêmes. En France aussi, ils sont moins enclins, mais dans une moindre mesure, que les autres cohortes à céder aux sirènes des extrêmes. Imaginons que les tendances esquissées par Mannoni, Da Empoli, Hartmut Rosa et bien d’autres se perpétuent, les seniors seront toujours moins nombreux à faire barrage à la Coulée brune. A cet égard, le vieillissement démographique entérinerait avant tout une crise démocratique. PS. Au sujet des torsions du langage, et dans un autre registre, je me demande ce que pense Olivier Mannoni de l’introduction du point médian dans le langage écrit (tous.tes / auteurs.trices) et des nouveaux mots tels que “iels”; est-ce que cela relève du “massacre de la syntaxe” ? Est-ce que, à ses yeux et oreilles, cela dit quelque chose du soutien à l’extrême-droite?) * https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-tous-ces-mots-qui-disparaissent-sous-l-administration-trump_228707 ** https://www.lalibre.be/international/amerique/2025/03/12/victime-de-la-censure-woke-de-donald-trump-les-archives-du-bombardier-dhiroshima-enola-gay-effacees-des-archives-de-larmee-JNBAFHGFZRGL3KWZWXFAH43V7U/ *** https://www.ft.com/content/68f14f5b-57ae-49b0-a709-128c678a9255
lennondelarose
• Il y a 1 mois
Coulée brune est un essai qui s’inscrit dans une démarche à la fois journalistique et analytique, cherchant à décrypter les mécanismes de la montée des extrêmes droites en Europe et, plus particulièrement, en France. Mannoni, traducteur et spécialiste de l’histoire des idées, propose une plongée dans les coulisses du national-populisme, en s’appuyant sur des faits, des témoignages et une analyse des discours. Mannoni ne se contente pas de dénoncer : il explique. Son livre est nourri d’une solide documentation, qui lui permet de retracer l’évolution des idées d’extrême droite, des années 1930 à nos jours. Il montre comment les vieux démons du fascisme et du nationalisme ont muté pour s’adapter aux réalités du XXIe siècle. Cette perspective historique est l’un des points forts du livre, car elle permet de comprendre les continuités et les ruptures dans le discours de l’extrême droite. L’auteur s’intéresse particulièrement à la manière dont les partis d’extrême droite ont su moderniser leur communication pour séduire un électorat plus large. Il décrypte les techniques de dédiabolisation, l’utilisation des réseaux sociaux, et la manière dont les thèmes traditionnels (immigration, insécurité, identité) sont reformulés pour toucher un public contemporain. Cette analyse est précieuse, car elle montre que le succès de ces partis ne repose pas uniquement sur des idées, mais aussi sur une maîtrise des outils de communication. Mannoni ne se limite pas à la France. Il élargit son analyse à d’autres pays européens, montrant comment des partis comme la Ligue du Nord en Italie, le FPÖ en Autriche ou l’AfD en Allemagne ont su capitaliser sur les peurs et les frustrations pour gagner du terrain. Cette perspective comparative permet de situer le cas français dans un contexte plus large, et de montrer que la montée des extrêmes droites est un phénomène transnational. Bien que Mannoni ne cache pas son rejet des idées d’extrême droite, son ton reste mesuré et évite la caricature. Il ne tombe pas dans le piège de la diabolisation, préférant analyser froidement les mécanismes qui permettent à ces idées de prospérer. Cette approche donne au livre une crédibilité supplémentaire, car elle montre que l’auteur cherche avant tout à comprendre, plutôt qu’à simplement condamner. Évidemment. Coulée brune ne prêche que les convaincus. Les lecteurs qui partagent les idées de Mannoni y trouveront une confirmation de leurs opinions, mais il est peu probable que l’ouvrage parvienne à toucher ceux qui sont séduits par les discours de l’extrême droite. Le livre manque peut-être d’une dimension plus pédagogique, qui permettrait de dialoguer avec des publics plus divers. Si Mannoni excelle dans l’analyse des discours et des stratégies de communication, on peut regretter qu’il ne s’attarde pas davantage sur les causes socio-économiques de la montée des extrêmes droites. Les peurs et les frustrations qu’exploitent ces partis ne naissent pas uniquement de leur propagande : elles sont aussi le produit de réalités matérielles (chômage, précarité, désindustrialisation) qui mériteraient d’être approfondies. Enfin, si Coulée brune est excellent pour diagnostiquer le problème, il reste assez discret sur les solutions. Comment lutter contre la montée des extrêmes droites ? Comment reconstruire un projet progressiste capable de répondre aux inquiétudes légitimes des citoyens ? Ces questions, cruciales, ne sont qu’effleurées par Mannoni, ce qui peut laisser le lecteur sur sa faim. Malgré ces limites, Coulée brune* reste une lecture essentielle pour quiconque souhaite comprendre les ressorts du national-populisme contemporain. Il nous rappelle que la vigilance est de mise, et que la défense des valeurs démocratiques passe par une compréhension lucide des forces qui les menacent.
looze
• Il y a 1 mois
*Coulée brune : Comment le fascisme inonde notre langue* de Olivier Mannoni est un essai qui promettait une exploration approfondie de la transformation du langage sous l'influence des idéologies fascistes. Cependant, j'ai été quelque peu déçue par le contenu de l'ouvrage. Je m'attendais à ce que le livre se concentre davantage sur les procédés linguistiques utilisés à des fins propagandistes et fascistes, qu'ils soient décrits et analysés en détail. Malheureusement, l'essai prend une direction différente en proposant principalement une analyse sociologique. Bien que cette approche repose en partie sur le langage, elle se concentre surtout sur les mouvements de société et les dynamiques sociales. L'auteur, Olivier Mannoni, est un éminent traducteur et spécialiste des pièges du langage totalitaire. Son expertise transparaît dans certaines sections du livre. Ce sont les moments que j’ai préférés. Malheureusement, ces passages sont trop brefs et l'analyse linguistique que j'espérais est souvent éclipsée par des considérations sociologiques plus larges. Cela dit, l'essai reste pertinent et offre des réflexions intéressantes sur la dégradation du langage politique contemporain et son impact sur nos sociétés. Malgré tout, *Coulée brune* est un ouvrage qui mérite d'être lu pour sa perspective sociologique, mais il peut décevoir ceux qui s'attendent à une analyse détaillée des mécanismes linguistiques de la propagande fasciste. En effet, l’analyse sociologique est pertinente, mais elle ne comble pas entièrement les attentes de ceux qui recherchent une étude plus ciblée sur la transformation du langage.
mylena
• Il y a 1 mois
Cet essai analyse l’évolution de la parole politique et repère par quels mécanismes la parole politique a évolué vers une perte de sens, court-circuitant toute logique, raison, réflexion, argumentation fondée. Il ne reste que des indignations, émotions primaires qui ne débouchent sur rien, sinon sur un champ libre laissé au chaos. Cela a commencé dès les années 90 mais la crise des Gilets jaunes puis le Covid 19 ont permis une accélération, un boulevard ouvert au complotisme. Pourtant le tout début des Gilets jaunes avec le message de Priscillia Ludosky était impeccable, structuré, sans mots creux, bref, un message qui faisait sens ! Les autres acteurs du mouvement ont, pour certains, très vite dérapé et pour beaucoup d’autres sciemment semé le chaos par leurs prises de parole. L’auteur compare les glissements de sens, les raisonnements qui n’en sont pas, la récupération des thèmes de l’adversaire politique avec la façon de procéder des nazis. Il faut dire qu’il connaît, qu’il sait de quoi il parle, puisque Olivier Mannoni est le traducteur de Mein Kampf et l’auteur de Traduire Hitler. Cet essai est très instructif, malheureusement c’est très démoralisant car il donne l’impression qu’il n’y a rien à faire, ou si peu et très difficilement, et qu’on en a pour des années, d’autant que le phénomène n’est pas seulement français, mais mondial. Comment lutter contre les complotismes et le règne des fake news et autres réalités alternatives ? Comment arrêter de marcher sur la tête ? Comment remettre la démocratie, aussi imparfaite soit elle, faire comprendre que ce qui se profile ne peut être que pire. La coulée brune s’insinue partout et dans tout. Comment l’arrêter ?
Avis des membres
Fiche technique du livre
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- Genres
- Classiques et Littérature , Essais
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- EAN
- 9782350878959
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- Collection ou Série
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- Format
- Grand format
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- Nombre de pages
- 192
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- Dimensions
- 181 x 122 mm
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16,00 € Grand format 192 pages