La petite Dorrit - Tome 1 : Le livre de Charles Dickens

La Petite Dorrit a pour singularité d'être à la fois un roman à l'atmosphère confinée et une des œuvres les moins londoniennes de Dickens, avec un long épisode transalpin. Il s'inscrit dans une époque où on était bien moins patient et coulant avec les débiteurs, et où les dettes vous envoyaient três vite derrière les barreaux. Le roman s'ouvre dans la prison pour dettes de Marshalsea - prison où le père de Dickens eut “ses habitudes”, obligeant le jeune Charles a travailler dans une usine de cirage. De là à prêter au maître l’apophtegme de Flaubert, “la petite Dorrit c'est moi”il y a qu'un pas que nous ne franchirons pas. L'héroïne éponyme, ayant vu le jour dans cette prison et qui n’est pas une enfant, sorte de fée du logis, toute de dévouement, incarnation de la patience, de l’abnégation, de l'oubli de soi-même, dont seules les femmes dans leur amour filial sont capables, se voue corps et âme à rendre la réclusion de son père la moins pénible possible, partageant son sort, lui passant toutes ces lubies et endurant l'ingratitude d'un frère et d'une sœur inconséquents et vaniteux. Ce père n'est pas à proprement injuste envers sa fille mais il vit dans une fiction de respectabilité, volontiers condescendant envers ses compagnons de captivité, prodigue d'attitudes superbes et de paroles gratuites - s'attirant ainsi le sobriquet de doyen et père de la Marshalsea, fiction que seules l'industrie et les qualités discrètes de sa fille soutiennent en vérité. Cette perle de fille qu’est la petite Dorrit ne tarde pas à attirer la bienveillance d'un quadragénaire célibataire, idéaliste, que des scrupules de probité ont éloigné d'une mère résolue et acariâtre. Mais comme dans tous les romans de Dickens, parus en feuilleton, l’abondance de la matière narrative,pas toujours maîtrisée, défie le résumé. Brisons là. La Petite Dorrit offre un mélange baroque d’une satire de la vie mondaine et de la bureaucratie et d’un mélodrame larmoyant. Le roman devait s'achever d'une manière tragique, et Dickens devant l’émoi populaire soulevé a dû revoir sa copie. Se greffent à cela des considérations dont l'auteur ne peut être tenu pour responsable, à savoir les trop nombreuses coquilles de la traduction, ce qui fait dire sans trop de risque que le présent roman n’est pas une des œuvres majeures du romancier, en tout cas pas celle par laquelle pénétrer dans l'univers fascinant et foisonnant de Dickens. Pour autant la magie opère toujours, le plaisir de lecture n'est jamais démenti.