L'Invisible madame Orwell : Le livre de Anna Funder
Comment faire disparaître une femme de l'histoire ? Et pourquoi ? Écrasée par les responsabilités familiales, Anna Funder se réfugie dans les textes de George Orwell qu'elle admire, lit ses biographies, et tombe soudain des nues : il y a une femme dans l'ombre du géant, reléguée à quelques discrètes notes en bas de pages. Son nom ? Eileen O'Shaughnessy. Comment avait-elle pu passer à côté ?
Grâce aux lettres d'Eileen et aux témoignages de ses proches, Anna Funder soulève le voile sur la vie privée des Orwell, les accompagne à Barcelone lors de la guerre civile espagnole puis à Londres sous les bombes. Elle s'interroge sur ce qui fait un grand écrivain. Le travail, bien sûr. Mais ce dernier nécessite du temps et un quotidien exempt de contraintes. Autant de conditions que l'" épouse modèle " se doit d'assurer à son propre détriment.
L'Invisible Madame Orwell est le roman vrai d'une femme brillante et engagée, mais volontairement effacée au profit d'un mythe : celui du créateur. Refusant la version officielle et les omissions, Anna Funder redonne une voix à celle qui l'avait perdue et livre une réflexion sans concession sur la condition des femmes. Eileen O'Shaughnessy ne sera désormais plus réduite au rôle de subalterne derrière l'auteur légendaire de
1984. L'invisible n'est jamais condamnée à le rester.
De (auteur) : Anna Funder
Traduit par : Carine Chichereau
Expérience de lecture
Avis des libraires
Avis Babelio
nanouche
• Il y a 1 mois
L’écrivaine Anna Funder a « toujours adoré Orwell ». A l’été 2017, alors qu’elle se retrouve débordée par ses obligations familiales et professionnelles et qu’elle prend conscience que malgré la bonne volonté de son mari c’est sur elle que repose le gros de l’éducation des enfants, elle décide de se servir des écrits d’Orwell pour se libérer du « fardeau de la condition d’épouse et de mère ». Alors qu’elle lit les principales biographies de l’écrivain, elle prend conscience d’une absente de taille : Eileen O’Shaughnessy, femme d’Orwell, qui tout au long de leur mariage a fourni à ce dernier un cadre matériel lui permettant de se consacrer à l’écriture, des échanges intellectuels de qualité pour progresser et a joué le rôle de secrétaire mettant au propre ses notes. Anna Funder décide alors d’écrire plutôt sur Eileen. Lire la biographie d’Eileen O’Shaughnessy c’est découvrir comment celle-ci a été effacée, d’abord par Orwelle lui-même, à sa suite par ses biographes. Anna Funder met à jour les procédés qui ont permis d’invisibiliser cette femme (l’utilisation de la forme indirecte est bien pratique) et de passer sous silence l’importance de son rôle. La ferme des animaux est présentée ici comme quasiment écrite à deux. Lire la biographie d’Eileen O’Shaughnessy c’est faire la connaissance d’un personnage bien peu sympathique, son mari. George Orwell apparaît comme un homme très autocentré, ne se souciant pas des souhaits ou du bien-être de son épouse. Anna Funder pense qu’il a au contraire tenté de couper celle-ci de ses relations extérieures -amis, famille. Ainsi il tombe régulièrement malade quand Eileen envisage de rendre visite à son frère. Ce chantage à la maladie est aussi utilisé pour obtenir les faveurs de jeunes femmes avec lesquelles Orwell adopte souvent un comportement d’agresseur sexuel. L’autrice s’appuie sur des sources nombreuses et variées, notamment des lettres d’Eileen à sa meilleure amie, découvertes en 2005. Puisque c’était son point de départ, Anna Funder réfléchit aussi a sa condition d’épouse et de mère. Quand on est soi-même une femme mariée de la même génération que l’autrice ce n’est pas forcément très agréable de penser à la façon dont les tâches ménagères ont été réparties -ou pas- dans son propre couple. J’apprécie que l’autrice pointe la responsabilité du patriarcat dans ces inégalités et dise que la réponse ne peut pas être qu’individuelle. Enfin la façon dont le patriarcat permet à un homme de maltraiter sa femme tout en se considérant lui-même et en étant considéré à l’extérieur comme un « homme décent » (un « bon père de famille » dirait Rose Lamy) est analysée à partir de la notion de « doublepenser » développée par Orwell dans 1984. C’est une lecture que j’ai grandement appréciée. Le talent d’Anna Funder c’est aussi de donner quand même envie de lire Orwell.
Augustinpa
• Il y a 1 mois
Edifiant, essentiel, coup de coeur et chapeau bas à Anna Funder pour son travail. [...Le travail d'Orwell, en soi, est essentiel. C'était même une joiede relire ses écrits sur les systèmes de tyrannie "dont le but est de s'accaparer les richesses", et ce doublepenser qui "consiste à ériger la mauvaise foi en système". C'est grâce à lui -et à Baldwin- que je comprends comment les hommes peuvent s'imaginer innocents au sein d'un système qui leur bénéficie, et qui coûte aux autres. Je vois ses efforts courageux - et ceux d'Eileen. Dans mon esprit, j'aime à concilier les deux - le tyran aveugle et ses mots visionnaires, l'épouse et son mari, ...]
miriam
• Il y a 1 mois
Depuis l'élection de Trump et les gesticulations d'Elon Musk j'ai l'impression de vivre en pleine dystopie. Sans parler de l'IA, ChatGPt, et de reconnaissance faciale : Big Brother is watching me! Retour à Orwell et à 1984! Justement sur le blog de Kathel et celui de Patrice deux articles élogieux m'ont donné envie de m'intéresser à L'Invisible Madame Orwell. Il est toujours intéressant de compléter les biographies en contextualisant l'œuvre d'un auteur dans son entourage immédiat. Les "Femmes de." jouent souvent un grand rôle dans l'élaboration des écrits. Madame Zola m'a beaucoup intéressée, Céleste Albaret (qui n'était pas la femme mais la domestique, la gouvernante, la secrétaire...de Proust) aussi! Eileen O'Shaughnessy épouse en 1936 Eric Blair (George Orwell est son nom de plume). Anna Funder sort de l'oubli cette femme qu'Orwell a si peu citée dans son œuvre et effacée par les biographes de l'écrivain. "j’avais l’impression d’être Orphée descendant aux Enfers chercher Eurydice, surtout lorsque dans l’ obscurité je tombais sur l’incarnation de mes ennemis : un féroce chien à trois têtes. Le Cerbère qui m’ empêchait de passer s’appelait Omission-Insignifiance-Consentement. Après avoir fait sortir Eileen de la boîte, j’avais entre les mains les éléments d’une vie, une femme en pièces détachées. J’ai envisagé d’écrire un roman" Cette héroïne, oubliée, négligée, est pourtant un personnage remarquable : boursière d'Oxford, diplômée de psychologie, elle a publié en 1934 un poème dystopique "End of the Century, 1984". Prémonitoire? "comment le pouvoir s'exerce sur les femmes : comment une épouse se fait d'abord enterrer sous les corvées domestiques, puis par l'Histoire" Dès son mariage, elle se dévoue entièrement à son mari, laisse tomber ses recherches en psychologie, le confort d'une vie bourgeoise très aisée pour le suivre à la campagne dans une maison particulièrement inconfortable où elle assume toutes les corvées domestiques, y compris les soins aux animaux et le travail dans la petite épicerie de campagne. Et comme si le travail de maîtresse de maison ne suffisait pas, elle assure aussi le secrétariat, dactylographie, corrige, inspire les articles de son écrivain de mari. Tuberculeux, il doit aussi être soigné....et comme si cela ne suffisait pas, il entretient des liaisons avec de nombreuses femmes et sollicite l'approbation d'Eileen! Drôle de bonhomme! Comment une femme aussi douée, vaillante tolère-t-elle cela? Anna Funder mène une enquête très fouillée avec nombreuses notes et références. Enquête à charge. Et pourtant elle admire l'œuvre d'Orwell. Enquête féministe. Anna Funder nous abreuve de ses analyses (fondées mais répétitives) du patriarcat. "Le patriarcat, c’est le doublepenser qui permet à un homme « décent » de mal se comporter avec les femmes, de la même manière que le colonialisme et le racisme sont des systèmes qui autorisent des gens en apparence « décents » à commettre des actes innommables contre les autres. " Ironiquement Anna Funder utilise les concepts orwelliens de "doublepenser" et de "Common Decency" qui se retournent contre leur créateur. Analyse féministe d'une spécialiste d'Orwell. L'idée de départ m'a plu et même si la lecture du livre de Funder a été une lecture laborieuse. Funder s'est mise en scène coupant la fluidité de l'histoire. Beaucoup de répétitions, de théorie. L'ouvrage aurait gagné à être nettement allégé. Ce n'est qu'avec le départ d'Orwell d'abord, puis d'Eileen pour Barcelone que je me suis sentie entraînée dans l'action. J'ai noté Hommage à la Catalogne dans ma PAL par la même occasion. Le récit historique de la guerre en Angleterre, du blitz sur Londres m'a aussi intéressée. Le livre ne s'achève pas avec la mort dramatique d'Eileen. Dans le dernier quart du livre, Orwell reproduit le même schéma de recrutement d'une nouvelle compagne qui assurerait le ménage, la collaboration littéraire et même les soins de nounou pour le petit Richard qu'Eileen et lui avaient adopté. Toujours dans des conditions très précaires : une ferme dans l'île écossaise de Jura éloignée de tout. Et le plus étrange c'est que malgré sa santé vraiment très dégradée, son incapacité à assumer le quotidien, cela marche! Séparer l'oeuvre de l'écrivain?
Bluebells
• Il y a 1 mois
Je viens de terminer, bouleversée, L'Invisible Madame Orwell dont le sous-titre aurait pû être : L'Indispensable de l'Etrange Monsieur Orwell. Car ce roman (biographie en partie inventée d'Eileen plutôt que roman ?) parle aussi de l'écrivain. Étrange, en effet. Mais que peut-on attendre d'un homme qui a entendu, petit garçon, que les hommes étaient : "de gros animaux, laids, nauséabonds et ridicules qui maltraitaient les femmes de toutes les manières possibles, les forçant avant tout à s'intéresser à eux" ? Ceci dit par sa mère, sa tante, sa soeur, des adultes ayant un ascendant sur un jeune enfant. Ces femmes ont de bonnes raisons de parler ainsi, cependant Orwell est un petit garçon. Devenir l'un de ces hommes est-il une fatalité ? Je ne justifie pas son attitude, il aurait pu disposer de son libre arbitre, être attentif, respectueux envers lui-même et les femmes, la sienne en particulier ; être moins égoïste s'il avait pu dépasser l'éducation reçue à la maison comme à Eton. Certaines situations, vécues autant par George que par Eileen, surprennent mais il faut replacer l'histoire, les mentalités, au début du siècle dernier en Angleterre et dans le contexte politique, la manière de s'exprimer, de réagir, spécifiques à cette époque dans les milieux sociaux, culturels où ils évoluaient. Orwell avait interdit à la fin de sa vie qu'on écrive sa biographie. A lire ce livre formidable, je songe au péril d'être célèbre. Vie décortiquée, actes, pensées, paroles analysés après la mort. Il est évident - par les témoignages - que l'écrivain traitait les femmes de manière douteuse, condamnable. Tel un enfant gâté (le "préféré de sa mère"), parfois timide, tyrannique sans conscience à part quelques éclairs de lucidité, refoulant peut-être sa vraie nature homosexuelle. Mobilisé - comme Eileen - par la maladie. Ils perdaient leur sang tous les deux, chacun par une extrémité. Se faire un sang d’encre ! Celui d’Eileen effacé. A ce propos, quelle motivation, quelle énergie, quel détachement soulevait cette femme alors qu'elle souffrait atrocement ? L'écrivain porte deux prénoms, Eric depuis la naissance, George pour la postérité. Ainsi se nomme en double une personnalité complexe, contradictoire, capable de générosité, d'aveuglement, de déni et d'abandon. Et pourtant, ce qu'il reste de lui c'est l'amour, dira Richard son fils adopté. Et pourtant, Eileen va se sacrifier pour lui. Et pourtant ce qu'il va rester de lui, en supplément de son œuvre, c'est Eileen dévoilée. Sans elle, le fameux "1984" existerait-il ? Sans son dévouement, "La ferme des animaux" nous aurait-elle enchantés ? On les voit combattre ensemble, on les entend rire, lutter contre la pauvreté, la maladie, les frustrations. Mais on les voit ensemble. Et cela grâce à Anna Funder dont le travail de recherche, d'immersion est remarquable. Elle a su éclairer l'être dissimulé, la femme, l'épouse, l'amie, la secrétaire et bien plus encore. Une personne. Présente. Je ne pourrai plus penser à Orwell sans la voir désormais. Dans son quotidien, rude ; dans la guerre d'Espagne, épouvantable ; sous les bombes à Londres etc. Belle, intelligente, patiente, courageuse. Humble ? Je n'en suis pas si sûre. Elle savait ce qu'elle faisait. Elle aurait pu, on le perçoit tout au long du livre, laisser une œuvre personnelle. Elle semblait au-dessus de ces ambitions, également visionnaire, participant dans l'ombre à la création de son mari, à sa survie. Au-delà de ces considérations personnelles - et résumées - je me suis attachée à elle. Que diraient Eileen et George de ce "roman" ? Seraient-ils perplexes, contrariés, admiratifs, déçus, amusés ? Sachant que nul ne pourra jamais savoir ce qui se jouait entre eux. Une part du mystère leur appartient. A partir de quelques lettres, de situations avérées, de confidences, peut-on résumer une vie entière avec tout ce qu'elle comporte de paradoxes, de fonctionnements intimes, de réactions bizarres aux yeux d'autrui, mais qui ne le sont pas pour les protagonistes ? Ce livre féministe, équilibré, nuancé, lucide, sans fanatisme - même si je réprouve certains actes - ne m'a pas fait détester Orwell. Il m'a fait aimer sa femme. Alors, merci à Anna Funder pour son implication, sa passion, son talent, sa révélation. Même s'il me semble que parfois elle a puisé de manière subjective dans ses propres réflexions et vécus, son travail d'enquêtrice est remarquable. Il rend justice à Eileen, à toutes les femmes. Merci également à la traductrice, Carine Chichereau dont j’apprécie une fois de plus le travail.
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Fiche technique du livre
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- Genres
- Romans , Roman Étranger
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- EAN
- 9782350879338
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- Collection ou Série
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- Format
- Grand format
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- Nombre de pages
- 496
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- Dimensions
- 207 x 144 mm
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23,00 € Grand format 496 pages