Sulak : Le livre de Philippe Jaenada

« Je sais que j’y laisserai la vie. Je m’en moque. Je suis heureux et ne pourrais vivre autrement. Mourir demain ou dans cinquante ans, quelle importance? » Bruno Sulak. Un roman absolument génial qui se dévore ! De Bruno Sulak je ne connaissais rien. Il a pourtant été dans les années 80 l’ennemi public numero 1! Le « gentleman cambrioleur » connu pour sa non violence (relative quand même) a défrayé la chronique et fait de son personnage une légende. Il est tout aussi capable de glisser un diamant dans la main d’une cliente avant de quitter les lieux d’une bijouterie qu’il vient de dévaliser, de rassurer les otages que de « voler les riches » sans répit. Provocateur et farceur, lors du casse de la bijouterie Cartier à Cannes, il entre en tenue de Tennis « je suis entré en tennisman du dimanche et je suis ressorti avec la fortune de Björn Borg ». Le récit de sa vie, qui plus est sous la plume de Jaenada, est aussi haletant que poignant. Pas une once d’ennui. J’adore cet écrivain, en plus de sujets toujours intéressants (souvent des faits divers romancés) sa plume est rythmée, pleine de verve, ses digressions et parenthèses personnelles sont cocasses (moins nombreuses que d’habitude ici). On suit avec frénésie la trajectoire de cet homme peu ordinaire et déterminé qui va bifurquer vers le banditisme après avoir manqué son rendez-vous avec la Légion. Lui et sa petite amie la jolie Thalie forment un couple à la Bonnie and Clyde. Mais c’est surtout avec ses amis Drago et Novica alias Steve, ancien garde du corps de jean Paul Belmondo ayant fait de la figuration dans le film « Le professionnel » alors même qu’il était en cavale, qu’il fera ses plus gros coups. Quand ils sortent leur calibre le temps se suspend. On se prend à vibrer quand Sulak réussit un coup et à s’inquiéter quand il est en difficulté surtout lors du scotchant récit de l’évasion finale. Il joue au jeu du chat et de la souris avec le commissaire Georges Moréas dont il est l’adversaire, « son double du côté sombre ». Cet aventurier épris de liberté et à l’intelligence supérieure doté d’un grand sens de l’honneur, de la famille et de l’amitié préfère une vie buissonnière à une vie rangée. Pris dans la spirale des braquages spectaculaires et des évasions à l’ancienne Sulak alterne les coups de chance et de malchance, et enchaîne les concours de circonstance « quand le destin a un truc en tête, il ne l’a pas ailleurs ». Il trouvera en prison une autre forme d’évasion plus intellectuelle : l’écriture (c’était aussi un grand lecteur). Sa fin mystérieuse fera polémique et nous laisse un goût amer. On sent la tendresse, le respect et la fascination de l’écrivain pour Sulak qu’il rend attachant, mais aussi pour les proches du gangster. On referme le livre ému et sans voix. Inoubliable et étourdissant.